Promulguée le 19 décembre 2013, la loi de programmation militaire (loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 ou LPM) [1], par son article 20, accentue le contrôle des traces numériques, dans le but de lutter contre la criminalité via le web. Étant donné son domaine, la cybersurveillance des citoyens par l’État, d’importantes associations, ainsi que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et le Conseil national du numérique (CNN) ont émis des critiques [2].
En effet, quelques mois après les révélations de Snowden et l’affaire Prism, cette loi était apparue comme malvenue. Du fait de son imprécision, le texte de loi suscite des interprétations assez divergentes. Le Conseil constitutionnel n’a, de plus, pas été saisi sur la question.
Le législateur voulait expérimenter une nouvelle forme de surveillance sur les réseaux, et notamment sur l’Internet. Parmi ces moyens, la géolocalisation en temps réel, consistant à localiser un objet, smartphone ou ordinateur portable, devait être mieux encadrée. Il s’agissait aussi d’harmoniser les mesures déjà en place.
Dans son article 20, intitulé « Accès administratif aux données de connexion » (art. L. 246-1 et s., applicables à partir du 1er janvier 2015 ; ces mesures feront l’objet d’un décret soumis à la CNIL), la LPM intègre l’accès aux données web dans un cadre administratif et non pas juridique. Par ailleurs, une loi actuellement en débat régira la géolocalisation dans un cadre judiciaire.
Cet accès administratif concerne les « données de connexion », c’est-à-dire les traces d’une connexion ou d’un appel stockées par les opérateurs de télécoms, les fournisseurs d’accès à l’Internet et les hébergeurs : lieu, date, durée, émetteur, récepteur. Cependant, la rédaction du texte ne permet pas d’écarter l’accès au contenu, comme le dénotent les termes « y compris » du premier paragraphe de l’article [3].
La LPM complète ainsi le dispositif existant, qui concernait les écoutes téléphoniques dites « écoutes administratives » réglementées par la loi du 10 juillet 1991 et l’accès administratif aux données de connexion, dans le but de « prévenir des actes de terrorisme » régi par la loi du 23 janvier 2006. Il étend l’accès administratif aux données de connexion en dehors de la seule lutte contre le terrorisme, pour rechercher des renseignements intéressant « la sécurité nationale », la sauvegarde du « potentiel scientifique et économique de la France », « la criminalité et la délinquance organisées ».
Notons que l’accès aux données de connexion est aussi intrusif que l’accès aux contenus, les premières étant des « informations produites ou nécessitées par l’utilisation des réseaux de communications électroniques » [4], qui permettent d’accéder aux contenus Internet. Ainsi, les sources d’informations utilisées par l’internaute et les éventuels codes d’accès peuvent être révélés. L’accès aux métadonnées est par ailleurs tout aussi indiscret [5].
Selon le texte, les informations seront collectées par des agents désignés par des services « relevant des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du budget, chargés des missions prévues à l’article L. 241-2 », donc par des employés administratifs au service du gouvernement français.
Ces personnes, tout d’abord, émettront des demandes d’accès, motivées et « soumises à la décision d’une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre » et désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), sur proposition du Premier ministre. Cette personne coordonnera donc les relations entre les demandeurs d’accès aux informations et la commission de contrôle. Cette dernière conseillera en outre le Premier ministre sur le bien-fondé des requêtes par rapport aux conditions de la loi.
Par conséquent, en plus des pratiques de surveillance déjà en place, effectuées entre autres par les services de renseignement, de police ou de gendarmerie et le ministère de l’Économie et des Finances (Tracfin), il existera une surveillance en quelque sorte « chapeautée » par le Premier ministre, la Commission n’ayant qu’un rôle consultatif (notons d’ailleurs que la CNCIS est constituée de seulement trois membres, et M. Urvoas, député qui a lui-même défendu le texte de loi, en fait partie ! [6]).
Il s’agit donc bien d’une intrusion de l’État français dans la vie privée des citoyens français, et par conséquent d’un contrôle accru de leurs faits et gestes, par une extension des pratiques de surveillance déjà existantes.
La question de la finalité réelle de cette loi demeure, car s’il s’agit de renforcer la sécurité nationale, pourquoi maintenant ? Si une potentielle menace terroriste en est la cause, le texte reviendrait à considérer chaque citoyen français comme un « danger pour la sécurité nationale » en puissance, car les fondements des motifs donnés par les agents contrôleurs restent assez flous. Autrement dit, sur quelles bases précises les agents administratifs du gouvernement vont-ils se fonder pour demander une enquête sur un individu et seront-ils réellement libres de leurs actes ? La question reste entière.