Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico dévoile le point de vue des Français sur la République et la cohésion nationale. 73 % des sondés ne sont pas touchés par l’emploi des valeurs républicaines de la part des responsables politiques.
Deux tiers à trois quarts des Français ne sont plus sensibles à l’emploi des mots République et valeurs républicaines par les élus et représentants de la nation.
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Ce constat peut s’expliquer par le fait que ce type de discours s’apparente presque aujourd’hui à une langue morte, un discours incantatoire qui convoque des grands principes et grandes notions qui ne sont plus en phase avec le quotidien des citoyens et qui ne leur parlent plus. Ainsi, la promesse républicaine d’égalité et fraternité ne leur parle plus.
Ceci doit interpeller le politique puisque même l’électorat de la formation gouvernementale – La République en Marche –, ne se retrouve plus dans ces grands principes. 63 % d’entre eux admettent ne plus être sensibles à l’usage du terme de République, c’est le cas également à 61 % chez les électeurs des Républicains alors que le nom même du parti fait référence à l’idée de République et c’est aussi le cas pour 70 % des sympathisants du PS.
Cette dynamique est plus forte encore au sein des électorats des deux formations les plus contestataires, 80 % des électeurs de La France Insoumise et 82 % des électeurs du Rassemblement national ne sont plus en adéquation avec l’idée de République.
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Impression partagée que l’invocation des valeurs républicaines est un lieu commun, une facilité utilisée par les politiciens.
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Les sympathisants des partis dits « populistes » sont plus nombreux (plus de 80 %) à « ne pas être touchés » par l’emploi des termes relatifs à la République. Ceci indique peut-être à quel point, la crise de légitimité de la référence institutionnelle par excellence, la République, est d’abord le fait de citoyens révoltés ou défiants – or, les derniers mois ont permis à ces Français méfiants d’être très visibles et de se confronter durement et avec des dégâts, aux techniques de rétablissement de l’ordre qualifié de « républicain »…
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On voit qu’à tout prendre le terme d’identité nationale rencontre plus d’écho que celui de République (38 % contre 29 %). Cela étant dit, on précisera tout de même qu’aujourd’hui un tiers des Français ne se retrouvent ni dans le terme d’identité nationale, ni dans celui de République. On voit donc bien que les grands concepts laissent de marbre une part importante de la population. Néanmoins, une fois que l’on a dit cela, l’idée d’identité nationale semble résonner davantage avec les Français que la question de la République.
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Ce qui est intéressant, c’est que si la question des valeurs républicaines ne parle plus tellement à nos concitoyens, autant à droite, notamment, la question de l’identité nationale à tout prendre fonctionne mieux et tout se passe comme si nous avions ici l’illustration d’un changement de référentiel idéologique.
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Plus que la République c’est le clivage fondé sur la question ethno-culturelle qui monte en puissance.
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LREM apparaît comme un parti libéral : au sens économique et culturel. Ce dernier point trouve une traduction dans cet attachement semblant plus important aujourd’hui à la République qu’à la Nation. Cette dernière apparaît en effet comme un bouclier à la fois protecteur sur le plan sécuritaire et social. La République garantit, elle, l’ordre et le respect du droit – attente première des libéraux. Il faut cependant rester prudent, car comme l’indiquent les européennes, l’électorat LREM est par définition liquide... Ces éléments rappellent aussi à quel point, lorsqu’il y a crise symbolique, les entrepreneurs politiques créent la demande en formalisant l’offre. Pour résumer, LREM a attiré nombre de sympathisants de gauche davantage préoccupés par le libéralisme culturel que par les droits sociaux.
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Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux estime qu’il y a de vraies tensions entre les différentes catégories sociales et communautés qui vivent sur le territoire français et 38 % qui nous disent que ces différentes communautés vivent de manières séparées sans se côtoyer mais sans tensions.
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À partir du moment où l’on parle d’une République dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité » et que 93 % des Français semblent penser que chacun vit dans sa bulle ou dans son groupe de manière séparée et en s’affrontant ou non, l’idéal de fraternité et d’égalité est complètement battu en brèche.
L’idée que la thématique d’identité nationale parle davantage aux concitoyens que celle de République se comprend aussi à l’aune du diagnostic qui est porté au moment de la troisième question où 90 % des personnes interrogées estiment que chacun vit dans son îlot au sein de l’archipel Français.
L’idée d’archipélisation de la société est un constat partagé par la population française. C’est-à-dire que la fragmentation du corps social donne lieu intuitivement et instinctivement à des tensions communautaires telles qu’elles ont été illustrées, par exemple, par les récentes exactions commises en France, durant la CAN [Coupe d’Afrique des nations, NdlR], par un certains nombre de supporters de l’équipe algérienne de football.
Ces épisodes ont remis cette fracture communautaire sur le devant de la scène mais tout cela va bien au-delà. On est sur des fragmentations géographiques, socio-économiques et culturelles. Or, je pense que les Français en sont conscients, cela expliquant que l’emploi de termes tel que le vivre-ensemble ne les fassent plus vibrer. Aujourd’hui si la crise des Gilets jaunes se pacifie, les fractures demeurent et elles ont fait basculer les Français dans l’idée que la société française est loin d’être indivisible.