L’actuel projet de Kurdistan, soutenu par la France et les États-Unis, n’a aucun rapport avec celui, légitime, reconnu par les mêmes pays lors de la Conférence de Sèvres (1920). Il ne se situe pas du tout sur le même territoire ! Ce pseudo-Kurdistan est uniquement une carotte occidentale pour retourner les Kurdes syriens contre Damas. Sa création ne résoudrait pas la question kurde et provoquerait un conflit comparable à celui qui oppose depuis près de 70 ans Israël aux Palestiniens. Pour démêler la situation actuelle, Thierry Meyssan retrace ici les positions contradictoires des neuf principales puissances extérieures impliquées dans cette affaire.
Les déplacements de forces et les batailles de l’été au Nord de la Syrie paraissent incohérents aux yeux des observateurs. Pourtant chaque force en présence poursuit ses propres objectifs avec ténacité.
Alors que tous les protagonistes déclarent lutter contre Daech, l’Émirat islamique se déplace, mais ne recule que dans le désert. Le véritable enjeu des événements est l’éventuelle création d’un Kurdistan au détriment des habitants arabes et chrétiens [1].
Voici une analyse des objectifs de guerre des principales forces en présence, étant entendu que la Syrie est un État souverain et qu’aucun des protagonistes ci-dessous n’a le moindre droit de l’amputer pour créer une nouvelle entité.
Neuf réponses à la question kurde, dont sept illégales
1- Daech ne fera pas obstacle à la création d’un Kurdistan pourvu que ce ne soit pas à l’Est de l’Euphrate
L’Émirat islamique créé par John Negroponte, puis le général David Petraeus, en Irak est toujours contrôlé par lui. Ce dernier sous-traite le commandement de cette union des Frères musulmans, des Naqchbandis et des tribus sunnites du désert syro-irakien, à la Turquie.
Ainsi, lors de la prise de Jarablous à Daech par l’armée turque, les jihadistes se sont retirés sans livrer de combat, obéissant à leur mentor turc.
Après la bataille d’Aïn al-Arab (Kobané), Daech a admis le principe d’un Kurdistan, mais pas à l’Est de l’Euphrate.
2- Les avis successifs des États-Unis
Le président états-unien Woodrow Wilson avait fixé parmi ses objectifs de guerre, durant la Première Guerre mondiale, la création de l’Arménie, d’Israël et du Kurdistan. À l’issue du conflit, il dépêcha la Commission King-Crane pour évaluer la situation. Celle-ci indiqua :
« Les Kurdes revendiquent un très grand territoire, sur la base de leur présence, mais comme ils sont très mélangés avec les Arméniens, les Turcs et les autres, et divisés entre eux en Qizilbash [2], chiites et sunnites, il semble préférable de les limiter à la zone géographique naturelle qui se trouve entre la proposition de l’Arménie sur le nord et de la Mésopotamie au sud, avec le fossé entre l’Euphrate et le Tigre comme la limite Ouest et la frontière persane comme limite Est (…) Il est possible de déplacer la plupart des Turcs et des Arméniens, qui sont peu nombreux, hors de cette zone par un échange volontaire de population et d’obtenir ainsi une province d’environ un million et demi d’habitants, presque tous Kurdes. La sécurité des Chaldéens, Nestoriens et Chrétiens syriens qui habitent dans la région doit être garantie ».
La Commission King-Crane a visité la région juste à la fin du massacre des chrétiens, qui dura de 1894 à 1923, d’abord par l’empire ottoman, puis par les Jeunes Turcs avec l’aide de l’Allemagne du IIe Reich et de la République de Weimar [3]. Elle s’est montrée très prudente sur la possibilité de faire vivre des Arméniens dans un État kurde, sachant que les Turcs utilisèrent les combattants kurdes pour massacrer les chrétiens. Depuis novembre 2015, des Kurdes du YPD ont tenté de kurdiser de force les chrétiens assyriens du Nord de la Syrie, ravivant cette ancienne plaie [4].
Quoi qu’il en soit, un Kurdistan fut créé sur le papier par la conférence de Sèvres (1920). Mais face à la révolte turque conduite par Mustafa Kémal, celui-ci ne vit jamais le jour et les États-Unis y renoncèrent par le Traité de Lausanne (1923).
On observera sur cette carte, empruntée au site Les Clés du Moyen-Orient, que le président Wilson avait prévu de créer le Kurdistan dans la Turquie actuelle et dans une petite partie du Kurdistan irakien actuel. La Syrie actuelle n’était absolument pas concernée par ce projet.
Durant la guerre civile turque, la Syrie d’Hafez el-Assad apporta son soutien au PKK sur la base des propositions du président Wilson. Elle accorda l’asile politique au chef du PKK, Abdullah Öcalan, qui prit l’engagement écrit de ne jamais revendiquer de territoire syrien. Alors qu’au recensement de 1962, on ne comptait que 162 000 Kurdes en Syrie, un millions de Kurdes turcs se réfugièrent en Syrie et obtinrent également l’asile politique. Ils sont aujourd’hui 2 millions et ont reçu la citoyenneté syrienne en 2011. Au début de la guerre, ils ont combattu pour défendre la Syrie avec des armes et des salaires fournis par Damas contre les mercenaires islamistes.
Changeant d’avis, les États-Unis promirent alors à divers chefs kurdes en Irak, en Syrie et en Turquie de tailler un État pour eux en Syrie s’ils se retournaient contre Damas. Certains ont accepté.
Au début 2014, lorsque le groupe de David Petraeus planifia le développement de Daech et son invasion d’al-Anbar (Irak), il autorisa le Gouvernement régional kurde d’Irak à conquérir les champs pétroliers de Kirkuk. Ce qui fut fait sans soulever la moindre réprobation internationale, l’opinion publique ne voyant que les crimes commis par Daech.
3- La Russie soutient les droits de la minorité kurde
Dans un premier temps, la Russie a soutenu le projet d’une région autonome kurde en Syrie sur le modèle de ses propres Républiques autonomes. Une représentation du YPG a été ouverte à Moscou, en février.
Cependant, confrontée aux réactions indignées des Syriens, elle a pris conscience que la situation de ce pays est différente de la sienne.