Après l’annonce de la mort du mollah Omar, le mouvement insurgé afghan se déchire sur fond de mainmise du Pakistan.
La célérité inhabituelle avec laquelle le mouvement taliban afghan avait désigné, jeudi dernier, le mollah Mansour comme successeur du mollah Omar, chef historique et spirituel, dont la mort avait été révélée la veille, n’a, semble-t-il, pas permis au principal mouvement insurgé afghan d’éviter les écueils d’une guerre de succession. Les divisions apparues en quelques jours ne sont pas que des rivalités de personnes, elles posent la question de la mainmise du Pakistan sur les décisions du mouvement taliban afghan. Elles conditionnent, enfin, en grande partie, les chances de paix dans la région.
Le ministre pakistanais des Affaires étrangères a annoncé dimanche que la suite des pourparlers entamés à Islamabad le 7 juillet et qualifiés d’historiques entre le gouvernement de Kaboul et les talibans afghans, qui devait se tenir le 7 août, était reportée sine die. Sous pression, le mollah Akhtar Mansour, nouveau chef suprême taliban, a tenté, dès samedi, dans un message audio, de répondre aux inquiétudes suscitées par sa nomination. Dans son discours, il appelle à la fois à « l’unité du mouvement », il galvanise ses fidèles pour qu’ils poursuivent « le djihad contre tous les ennemis de l’islam » et qualifie le processus de réconciliation nationale « de propagande ennemie ».
Stratégies divergentes
Mais ces déclarations n’auront pas suffi pour endiguer le flot des contestations internes. Lundi, le frère du mollah Omar, le mollah Abdul Manan, a indiqué que sa famille n’avait pas fait allégeance au successeur désigné. Son neveu et fils du mollah Omar, Yacoub, était candidat à la succession de son père. Yacoub et le mollah Zakir, figure militaire et pilier du mouvement, auraient quitté la cérémonie de désignation du mollah Mansour en signe de désaccord. Le mollah Zakir a assuré, depuis, dans un communiqué qu’il n’avait « aucun conflit avec le mollah Mansour ».
D’après une source sécuritaire occidentale à Islamabad, une fracture serait apparue entre deux camps représentant des stratégies divergentes à l’encontre du Pakistan. Le premier serait proche des autorités pakistanaises et incarné par le mollah Mansour, dont la proximité avec les services de renseignement militaire (ISI) sont anciens et reconnus. Il est soutenu par le puissant groupe afghan Haqqani, dont deux membres ont été nommés vendredi en qualité d’adjoints.
Islamabad a toujours eu des relations suivies avec le clan du chef de guerre afghan Jalaluddin Haqqani. Figure emblématique moudjahid lors de la guerre contre l’occupation soviétique, puis ministre des Affaires tribales sous le régime taliban, entre 1996 et 2001, il est aujourd’hui, avec ses fils, un chef autonome régnant sur une zone qui couvre l’est de l’Afghanistan et l’agence tribale du Nord-Waziristan.
Très proche de l’ISI, ce clan est lié aux groupes djihadistes, et notamment à Al-Qaida dont il héberge les membres et soutient les activités. Le père a, depuis, passé la main à ses fils, notamment Sirajuddin, et sa mort est régulièrement annoncée puis démentie. Dans un texte, diffusé, dimanche, sur le site officiel de l’« Émirat islamique d’Afghanistan », il déclare son allégeance au mollah Mansour.
Selon un rapport des services de renseignement français, daté de 2009, « l’ISI est intervenue, dès 2003, pour assister la réorganisation des capacités combattantes du groupe Haqqani ». Les services français estiment que Sirajuddin a poursuivi la « relation privilégiée » que son père avait tissée avec le colonel Sultan Amir, alias colonel Imamr, lors du djihad antisoviétique. Son beau-frère et adjoint, Sangin Zadran, était, en 2009, chargé des liens avec l’antenne de l’ISI à Miram Shah. Le colonel Mobin-ur-Rehman, de l’ISI, faisait le lien avec le réseau dans son antenne à Bannu, à l’est du Nord-Waziristan. « Grâce à cette collusion avec l’ISI », note le rapport, des dirigeants du réseau Haqqani ont échappé aux opérations de l’armée pakistanaise et aux frappes de drones américains.
Processus jugé expéditif
Face à cette faction se dresse, selon la même source à Islamabad, « une partie de la choura [conseil] de Quetta », ville du sud-ouest pakistanais où s’est réfugié le haut commandement taliban après avoir été chassé du pays en 2001 par les Américains. La famille du mollah Omar, ainsi qu’une partie de cette choura, dénoncent le processus de désignation, jugé expéditif et contraire à la culture du consensus qui préside aux décisions collectives au sein du monde pachtoune, dont sont issus les talibans afghans.
Enfin, des questions ont émergé depuis la confirmation de la mort du mollah Omar, qui remonterait à 2013, selon Kaboul. Quel est le statut des communiqués diffusés depuis cette date par le mouvement taliban et attribués au mollah Omar ? Les autorités pakistanaises n’auraient-elles pas manipulé le mouvement taliban afghan en dissimulant à dessein la disparition de son chef, et en utilisant le mollah Mansour comme un relais servile de ses propres intérêts ? Jaloux de son indépendance, islamiste et nationaliste, le mouvement taliban s’interroge également, aujourd’hui, sur son degré d’allégeance à l’égard du Pakistan.
Le chef du bureau politique des talibans afghans établi au Qatar, Tayeb Agha, a démissionné cette semaine de ses fonctions, signe de la discorde croissante au sein de ce mouvement de rebelles islamistes.