Ce constat est d’autant plus alarmant qu’on note, depuis quelques années, un « désintérêt » des partenaires financiers pour l’eau, désormais éclipsée par l’urgence climatique.
Les pays du Maghreb sont arrivés au bout de leurs ressources en eau, a alerté, dans un entretien exclusif avec Sputnik, le secrétaire exécutif de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), l’Algérien Khatim Kherraz.
« Les pays du Maghreb manquent cruellement de ressources en eau, même s’ils bénéficient globalement de taux importants de raccords. Aujourd’hui, ils arrivent au bout de leurs ressources », a insisté Kherraz.
Seules quelques options se profilent pour ces pays et consistant soit « à mieux gérer leurs ressources », soit à « mobiliser des ressources non conventionnelles ».
Il s’agit, pour ce dernier cas, « pour les pays qui ont la capacité de le faire », d’aller « vers le dessalement de l’eau de mer ou la réutilisation des eaux usées et traitées ».
Le cas échéant, ces pays vont devoir « recourir aux eaux fossiles, avec tout ce que cela suppose comme levées de boucliers (…) en rapport avec la dilapidation du patrimoine » hydraulique.
Une option à envisager avec toute la prudence qu’il faut puisqu’elle implique « l’utilisation d’une eau qui n’est pas renouvelable, qui a mis quelques millions d’années à se constituer », a prévenu Khatim Kherraz.
Inversement, et contrairement à ce qu’on a tendance à croire, « les pays du Sahel disposent, eux, de beaucoup plus de ressources en eau que les pays de l’Afrique du Nord ». Le tableau qui se présente au Sud du Sahara est totalement inversé, puisqu’on a des taux de raccords faibles à l’eau, de l’ordre de 20 à 40 % contre 80 à 95 % pour les pays du Maghreb.
« L’eau existe, mais les gens n’y ont pas accès parce qu’il faut de l’énergie (…) et globalement les pays n’ont pas les moyens de mobiliser l’énergie électrique ou solaire nécessaire, ni d’effectuer des forages ou des distributions », a détaillé Khatim Kherraz.
Fondé en 1992, l’Observatoire du Sahel et du Sahara est une organisation intergouvernementale à vocation africaine regroupant 23 pays du continent. En agissant sur les volets Eau et Terre, l’OSS vise à mobiliser et à renforcer la capacité des pays africains membres à relever les défis environnementaux dans une perspective de développement durable. Dans le cadre de sa mission, l’un des principaux défis qui se posent est celui du financement, octroyé soit par les États membres soit par les différents bailleurs de fonds internationaux (Banque Mondiale, UNESCO, Union africaine, Union européenne, etc.). Or, depuis quelques années, l’eau est « bizarrement sortie des radars des partenaires financiers. »
Ce désintérêt, absolument « inexplicable » pour Kherraz, fait qu’aujourd’hui, « on a toutes les peines du monde à faire remonter l’eau à un niveau de conscience élevé ». Et pour cause, « l’alerte climatique a éclipsé les problèmes d’eau ». Un « combat » a été mené par l’OSS et d’autres organisations, notamment lors des dernières COP (Paris, Marrakech et Bonn), pour « faire remonter l’eau au niveau de décision et de préoccupation mondial ».
Aujourd’hui, chez les États comme chez les partenaires financiers...
« On a tendance à privilégier l’urgence climatique en oubliant (…) qu’une bonne partie des solutions d’adaptation au changement climatique viendrait d’une maîtrise de l’eau. Aujourd’hui, si vous allez chercher un financement pour un projet portant strictement sur l’eau, vous n’en trouverez pas. Si vous allez chercher un financement sur l’eau mais qui soit lié au changement climatique, vous avez plus de chances », a-t-il illustré.
Outre une vocation d’expertise et le rôle de lanceur d’alertes qu’elle est amenée à jouer en s’appuyant sur plusieurs études qu’elle réalise, l’organisation s’est faite une spécialité dans la gestion des grands aquifères transfrontaliers, à travers des projets réalisés annuellement et s’inscrivant dans la gestion durable de ces ressources.
L’autre grand volet de son action, concerne la prévention contre la désertification et plus généralement, la dégradation des sols qui a également des causes liées à la démographie. Ainsi, si cette variable est maîtrisée, « l’exploitation des terres se ferait peut-être de manière un peu moins violente », d’après Kherraz, ingénieur civil de formation.
Au regard de la question du sol, l’une des mesures phares sur lesquelles travaille l’OSS a été « la Grande Muraille Verte ». Un vieux projet ambitieux, qu’on a dû réexaminer aujourd’hui, « le désert s’étant avéré plus fort que tout le monde ».
Initialement conçue comme un couloir vert de 15 kilomètres de large devant traverser tout l’espace sahélo-saharien pour bloquer l’avancée du désert...
« la Grande muraille verte est réduite aujourd’hui, faute de financement suffisant, à une série de (mini-)projets prenant pour objet les espaces devant être prioritairement protégés. Face à un territoire agricole, ou une ville, menacés par le désert, on vient réaliser des murs verts concentriques autour de cet espace, selon les moyens » de l’OSS et ceux des États, a expliqué Khatim Kherraz.
Face à ces urgences, les États, « font ce qu’ils peuvent », en attendant le jour où plus de moyens seront disponibles pour réaliser la jonction entre ces différents espaces verts.
« Malheureusement, nous sommes dans une région où les feux (d’alerte) sont partout : des feux sociaux, sécuritaires, sanitaires. Une région, également, où les moyens sont extrêmement limités. Dans ces conditions, c’est toujours délicat de faire des arbitrages. » a regretté Khatim Kherraz.