On serait presque tenté de dire que la Syrie est devenu pour Alain Juppé une sorte de stimulant intellectuel : mercredi 23 novembre, le ministre français – enfin disons sarkozyste – des Affaires étrangères avait proposé l’idée d’ouverture de « corridors humanitaires » en Syrie, rebaptisés par le même jeudi « zones sécurisées pour protéger les populations civiles« . Concrètement, ça fonctionnerait comment ? Selon Juppé, on mettrait en place "des couloirs, dans lesquels les organisations humanitaires peuvent faire parvenir des produits médicaux" .
Flou artistique et diplomatique
Mais qui les mettrait en place, ces couloirs ? Eh bien, Alain Juppé pense que le régime syrien pourrait l’accepter (ha, il serait donc sensible à l’aspect humanitaire, ce régime ?). Mais si tel n’était pas le cas, "il faudrait envisager une autre solution, forcément, avec des observateurs internationaux, comme cela s’est fait en Libye" . Comme en Libye ? Diable, voilà qui n’évoque pas que des souvenirs humanitaires, M. le ministre….
Celui-ci a tenu à préciser immédiatement au micro de France Inter qu’ »il n’a jamais été question d’option militaire« . « Il n’y a pas d’intervention humanitaire sans mandat international » est bien obligé de convenir notre ministre des interventions humanitaires. Et s’il n’y a pas de mandat international pour ça, on sait que ce n’est pas la faute d’Alain Juppé !
Le patron de la diplomatie française sous influence OTAN comptait en tout cas proposer son idée à ses partenaires européens. On n’a cependant toujours pas compris, en cas d’opposition de Damas, qui va mettre en oeuvre les couloirs de Juppé, comment, quand et où. Mais l’essentiel pour Alain Juppé n’est-il pas d’occuper le terrain – médiatique, à défaut de syrien – et de faire croire que la France joue un rôle majeur « à la libyenne » dans la marche des peuples arabes vers la liberté.
Car il est évident que dans cette proposition française, l »humanitaire n’est, une fois de plus, que le paravent du politique. Ses « couloirs humanitaires » participent de la même logique ingérente que les « zones d’exclusion aérienne » que les Américains et leurs compères voudraient bien imposer dans le ciel syrien. Il s’agit de violer, si peu que ce soit, la souveraineté et le territoire de la Syrie.
Une Syrie de rêve (atlantiste)
Pour atteindre cet objectif plus vraiment secret, Juppé et ses pairs veulent accréditer l’idée qu’il y a en Syrie des populations à protéger, comme si elles avaient été victimes d’une sorte de tsunami ou de tremblement de terre. Alain Juppé, relayé avec empressement par la grande presse française, parle et reparle à longueur d’antenne de « massacres » de civils en Syrie. Mais s’il y a des populations civiles à protéger en Syrie, c’est plutôt des bandes armées qui sèment la mort et le désordre, notamment à Homs.
Mais Juppé refuse de considérer cet aspect – essentiel – du drame syrien : pour lui, il n’y a pas de terrorisme en Syrie, tout au plus des déserteurs « citoyens » qui agissent en état de légitime défense contre le régime et assurent en quelque sorte une « violence humanitaire » pour protéger leurs frères civils. Pour Alain Juppé, il n’y a pas non plus de partisans du régime.
Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, notamment les clameurs de centaines de milliers de Syriens pro-régime descendant et descendant en masse dans les rues des villes de Syrie. Evacuant ainsi toutes les réalités dérangeantes, Juppé peut donc continuer à vendre son scénario hollywoodien à l’opinion internationale.
Et comme il n’y a donc que des opposants à Bachar en Syrie, le ministre ne peut faire moins que de déclarer le CNS seul représentant légitime du peuple syrien. Alors que le CNS n »est pas reconnu comme « seul légitime » par nombre d’opposants historiques comme Michel Kilo, ou ceux qui ont créé de nouveaux partis en Syrie même, et que l’homologue britannique d’Alain Juppé, William Hague, vient de réaffirmer que l’opposition syrienne dsoit vraiment se structurer et s’unifier avant toute reconnaissance officielle par Londres.
Alain Juppé a tort à notre avis d’ignorer tant de réalités objectives pour mieux légitimer son discours. La morgue et l’entêtement ne font pas forcément une politique diplomatique. Et la réalité se venge toujours, en Syrie comme en Libye ou en Egypte.