Face à l’enlisement des négociations entre Athènes et l’Union européenne, les Grecs s’interrogent sur la marge d’action dont dispose réellement le gouvernement d’Alexis Tsipras, le leader de Syriza, parti de la gauche anti-austérité.
« Le premier ministre parviendra-t-il à mettre en place ses réformes tout en maintenant le pays dans la zone euro ? J’ai l’impression qu’il a déjà beaucoup concédé aux Européens », explique Dimitris, serveur dans un café, les yeux rivés sur un écran de télé où il apprend la suspension des discussions entre la Grèce et ses créanciers internationaux à Bruxelles.
La liste des réformes qu’Athènes a présentées et qui apporteraient au minimum 3,2 milliards de recettes selon le gouvernement, sont cependant toujours jugées insuffisantes par les Européens. Elles s’articulent autour de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, la taxation des revenus à l’étranger, une réforme de l’administration, des mesures en faveur des retraités vivant sous le seuil de pauvreté.
Les derniers euros
Le gouvernement grec souhaite aussi lutter contre le marché noir, de cigarettes et de carburant essentiellement. Il s’agirait aussi de vendre des licences de jeux en ligne ou celles de radiodiffusion qui n’ont jusqu’alors jamais été officiellement attribuées et dont bénéficient gracieusement les chaînes de télévision. En outre, le gouvernement a déjà annoncé des privatisations (aéroports régionaux, société des jeux, et port du Pirée). Ce dernier point était l’une des « lignes rouges » du gouvernement d’Alexis Tsipras avant que ne soient acceptées des concessions majeures.
Tout un volet concernerait des réformes en faveur de la modernisation de l’Etat et de l’administration fiscale pour la rendre plus efficace, l’amélioration de la gestion des finances publiques et une réforme de la justice. De nouvelles procédures pour les faillites pourraient même être introduites.
Mais les Européens veulent plus : selon eux, Athènes peut économiser davantage et procéder à d’autres coupes drastiques car le pays dispose encore d’une réserve de 2,5 milliards d’euros, utilisée pour couvrir les dépenses courantes. Or la Grèce doit rembourser 420 millions d’euros au FMI, 80 millions d’intérêts à la Banque centrale européenne (BCE), 194 millions d’intérêts à ses créanciers du secteur privé et 100 millions d’autres paiements. En outre, 1,4 milliard d’euros de bons du Trésor à six mois arrivent à échéance le 14 avril et 1 milliard de bons à trois mois le 17 avril.
Les négociateurs les plus intransigeants ont demandé de décaler la poursuite des négociations au-delà de la date initialement fixée du 8 avril. Cela forcerait Athènes à puiser dans ses ultimes réserves. Avec le risque de mettre en péril le fonctionnement de l’État et de ses institutions. Les services indispensables comme les pompiers et les urgences médicales pourraient même être contraints de fonctionner au ralenti. Et si Athènes devait ne pas honorer ses créances pour assurer le fonctionnement quotidien, Alexis Tsipras sera mis au pilori par Bruxelles. Un membre du gouvernement signale : « Si aucune aide n’était versée par les institutions, il serait possible que le gouvernement ne paie pas le FMI le 8 avril. »
Les lignes rouges
« Le gouvernement a trois lignes rouges : la réforme du marché de l’emploi, les coupes dans les salaires et les pensions, une politique fiscale qui taxe les hauts revenus et le capital », précise un proche du dossier. Il ajoute : « Du côté des institutions et des créditeurs, nous faisons face à un aveuglement idéologique. Pourquoi les créditeurs veulent-ils continuer à imposer des mesures qui maintiennent une situation fiscale intenable ? Alors que nous voulons restructurer le pays et l’économie, on nous demande des réformes superficielles et néolibérales. »
La position d’Alexis Tsipras devient donc insupportable. Yannis Albanis, membre du Comité central de Syriza, a ainsi écrit un texte : « Un Grexit [une sortie de la Grèce de la zone euro] est préférable à un nouveau mémorandum. » Il y explique notamment qu’un échec de Syriza renforcerait le parti néonazi grec. Cette crainte est, elle aussi, toujours plus diffuse à Athènes. « Mais pas à Bruxelles », déclare Dimitris.