Sait-on exactement où va la Finlande ? Voilà des années qu’on nous la présente comme un paradis pédagogique, parce qu’elle s’en sort bien aux tests de Pisa (mais moins bien que Singapour, Shanghai, ou la Corée du Sud, systèmes éducatifs violemment coercitifs que l’on évite soigneusement de nous donner en modèles). Xavier Darcos puis Luc Chatel y ont fait des voyages, et les pédagogues modernes en ont l’eau à la bouche. Voici les dernières nouvelles, et les dernières lubies, de cette pédagogie qui nous vient du froid...
La fin des disciplines
Sans trop l’avouer, la réforme projetée pour 2016 par Najat Vallaud-Belkacem a pour projet majeur d’en finir avec les disciplines telles que nous les connaissons - maths, français, physique, etc. - conçues comme des domaines cloisonnés et enseignées par des spécialistes. "Interdisciplinaire" est le maître-mot du bonheur scolaire que l’on nous promet. Demain on apprend en jouant, et on rase gratis.
La Finlande vient de prendre un virage spectaculaire qui inspire nos présentes réformes. À l’horizon 2020 - c’est demain -, il n’y aura plus chez les Finnois d’enseignement disciplinaire, mais des regroupements selon les thèmes étudiés par les élèves. Des "objets d’étude" essentiellement pratiques - comment devenir un garçon de café efficace, exemple retenu par The Independent qui nous explique en détail ce nouveau paradis pédagogique regroupant un peu d’anglais ("The toilets, sir ? First door on the left"), deux doigts de comptabilité ("Un café + un soda + une bière = 12 euros"), un soupçon de communication ("Beau temps, n’est-ce pas ?") et une mesure de chimie (l’eau trouble le pastis).
À qui me soupçonnerait de caricaturer l’admirable modèle finlandais, je conseille de méditer les déclarations de Pasi Silander, en charge du secteur Développement d’Helsinki : "Nous devons opérer les changements nécessaires à l’industrie moderne." Et d’expliquer qu’un employé de banque n’a pas besoin de savoir compter, mais qu’il doit maîtriser l’ordinateur posé sur son bureau, qui compte pour lui. Voilà qui humanisera le système bancaire. Cela fait grincer quelques dents, même dans ce paradis de l’expérimentation permanente. Mais Marjo Kyllonen, chargé du secteur éducatif de la capitale, révèle que les enseignants qui se plieront le plus rapidement à cette initiative révolutionnaire verront leur salaire augmenter. Même si les profs finlandais sont mieux payés que leurs homologues français, voilà une incitation probablement irrésistible. Mme Vallaud-Belkacem, qui gère un système plus centralisé, prétend en faire autant sans rien donner - ce sera plus difficile de convaincre des enseignants formés à transmettre des savoirs précis de devenir des animateurs.
À noter qu’il n’y a au fond rien de nouveau sous le soleil. Au début des années 2000, les pédagogues fous avaient déjà inventé les "itinéraires de découverte", où les "apprenants" construisaient leurs propres savoirs en tirant sur plusieurs ficelles à la fois. Sous les yeux émerveillés d’enseignants qui n’étaient plus là que pour canaliser les énergies et permettre à chacun d’exprimer le fond de sa pensée. Brave new world ! aurait dit Huxley.