La question parallèle, ou générique, étant : les Allemands ont-ils le droit de critiquer les juifs ? Car l’Histoire intervient dans les rapports entre deux pays, c’est indéniable. La politique en est le fruit. Il a suffi que le journaliste du Monde Mustapha Kessous réalise un doc sur le Hirak, ou la révolution pacifique algérienne, pour que le pouvoir d’Alger lui tombe et nous tombe dessus. Aussitôt, toute la syntaxe colonialiste remonte à la surface. Décidément, le régime de l’ex-département français a du mal à assumer les critiques.
La France a tiré les deux premiers coups de canon dans cette nouvelle guerre franco-algérienne en programmant, ô blasphème, deux documentaires sur les événements en cours en Algérie. Il s’agit d’Algérie, mon amour (2020), et Algérie, les promesses de l’aube (2019). Le premier a été diffusé sur France 5, le second sur La Chaîne parlementaire, deux chaînes d’État. Les coups de poignard viennent bien du pouvoir central français !
Et ça commence bien :
« Depuis février 2019, des millions d’Algériens marchent chaque semaine contre le pouvoir en place... »
Là aussi :
« Ce gouvernement a toujours méprisé son peuple... »
L’Algérie. Le sujet est encore brûlant, d’abord à cause de la guerre franco-algérienne des années 50, mais aussi de la déstabilisation du pouvoir depuis le début des manifestations. Si, en 1990, les généraux avaient organisé en partie et la contestation et la répression, aujourd’hui ils ne semblent plus avoir la main. Mais le pouvoir central a toujours une dent contre la France, ce que n’ont visiblement pas tous les demandeurs de visas... et d’avenir.
Le site de service public France Info détaille les réactions épidermiques de nos vis-à-vis méditerranéens :
« Pour Alger, il s’agit d’une cabale "néocoloniale" orchestrée à Paris. "Le caractère récurrent de programmes diffusés par des chaînes de télévision publiques françaises (...), en apparence spontanés et sous le prétexte de la liberté d’expression, sont en fait des attaques contre le peuple algérien et ses institutions" dont l’armée, s’est offusqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
Algérie, mon amour, du journaliste et réalisateur français d’origine algérienne Mustapha Kessous, a soulevé dès sa diffusion de vifs échanges sur les réseaux sociaux. Paradoxalement, ce documentaire a autant déplu à des partisans du "Hirak", parlant de "trahison", qu’aux dirigeants algériens, sur la défensive et impuissants à contrôler l’internet. »
Dans ce petit théâtre franco-algérien, l’ambassadeur algérien à Paris a été rapatrié d’office. Ce mouvement d’humeur ne changera pas grand-chose aux rapports économiques entre les deux pays, la France continuant à acheter pour 4 milliards de pétrole et de gaz, l’Algérie pour 5 milliards de céréales, de médicaments, de carburants et de véhicules.
Les officiels français ont répondu aux attaques ou aux piques algériennes en arguant que chez nous, les médias étaient indépendants (bon, ça se discute comme dirait Delarue), une façon de viser la méthode du gouvernement algérien pour neutraliser la contestation (à ce propos, les Algériens dans leurs commentaires sous la vidéo de Kessous ont raison d’invoquer la violente répression du pouvoir français contre les Gilets jaunes). Mais il s’agit aussi d’un débat sur l’indépendance des médias.
« "Le régime algérien fait semblant de croire que, comme en Algérie, l’audiovisuel public serait en France aux ordres du pouvoir politique", estime l’historien Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris. "La crise diplomatique qu’il a ainsi artificiellement créée participe d’une campagne méthodique de verrouillage du champ médiatique et d’étouffement des voix critiques", analyse-t-il.
[...]
Ce nouvel épisode s’inscrit dans un climat de répression à l’encontre des opposants, des journalistes (certains en prison) et des médias indépendants. Déterminées à empêcher toute résurgence du "Hirak", les autorités ont bloqué ces dernières semaines plusieurs sites d’information accusés d’être financés par des "organisation étrangères". Aucune accréditation, obligatoire pour travailler, n’a été renouvelée en 2020 pour les correspondants permanents de médias étrangers à Alger. L’accréditation du directeur du bureau de l’AFP à Alger, Aymeric Vincenot, n’avait pas été renouvelée en 2019, ce qui l’avait contraint à quitter l’Algérie. »
C’est là où nous pouvons formuler une petite critique à l’intention des officiels français et des médias d’État : avec la loi Avia, sans oublier les lois précédentes qui limitent ou étouffent la liberté d’expression, il est clair qu’on n’a pas trop de leçons à donner au pouvoir algérien, on est bien placés pour le dire !