Les catholiques américains espèrent pouvoir inscrire leurs prédécesseurs dans la liste des pères fondateurs du pays après une découverte archéologique à Jamestown, tandis que Rome compte se rapprocher de Washington.
Une équipe d’archéologues américains vient de faire une découverte sensationnelle. Pendant les fouilles du village de Jamestown (Virginie), première colonie anglaise aux USA, les ossements du capitaine Gabriel Archer, l’un des leaders des colons, a été retrouvé avec un reliquaire d’argent, quelques os et un minuscule récipient avec de l’eau sainte ou du sang. Le capitaine a également été enterré dans un cercueil hexagonal la tête vers l’est.
Comme l’indique la revue américaine The Atlantic, c’est ainsi qu’on enterrait généralement les prêtres catholiques. Jamestown était une colonie protestante, mais tout porte à croire qu’une communauté catholique clandestine s’épanouissait en son sein, dont Archer aurait pu être le leader, voire le prêtre secret. "La découverte de cette petite boîte d’argent mystérieuse a été l’une des principales surprises. Nous cherchons encore à découvrir ce qu’elle signifie : après tout, c’est étrange de découvrir un reliquaire catholique dans la tombe du leader de la première église protestante du pays", note James Horn, président de la Jamestown Foundation. Les revues catholiques américaines et britanniques, très intéressées par les découvertes des archéologues, se retiennent pour l’instant de tirer des conclusions trop hâtives. Mais sans l’ombre d’un doute cette trouvaille soulève beaucoup de questions.
Quand dans les années 1600 les marginaux britanniques sont partis à la recherche du bonheur vers le Nouveau monde, leur appartenance religieuse avait une grande importance. Comme l’indique le site catholique National Catholic Register, au début du XVIIe siècle la peur et la haine envers les "papistes" étaient à leur apogée en Angleterre. La "conspiration des poudres" lancée par les jésuites dans les collèges anglais d’émigrants de Douai et de Valladolid, visant à éliminer le roi Jacob Ier, sa famille et le parlement britannique en 1605, a entraîné l’adoption de lois coercitives contre les catholiques et de violentes répressions. Tout prêtre catholique anglais, notamment jésuite, pouvait être soupçonné d’incitation et de complot contre le régime dirigeant. Par conséquent un monarque n’aurait pas apprécié d’apprendre qu’une fronde catholique s’était immiscée en secret dans les rangs des colons partant à destination du continent récemment découvert. Et bien qu’en 1629 la colonie anglaise du Maryland ait bénéficié de la liberté de confession, permettant aux catholiques et aux anglicans de professer librement leur confession, après le renversement du dernier roi d’Angleterre catholique Jacob II pendant la Glorieuse Révolution d’Angleterre de 1688, les catholiques du Maryland ont dû se retirer dans la clandestinité car les messes catholiques publiques étaient désormais interdites.
C’est pourquoi la question des fondements religieux de la nation américaine lors de sa naissance penchait plutôt en faveur du protestantisme, considéré comme "local", alors que le catholicisme était vu comme un "intrus". Les premiers colonisateurs catholiques, selon cette interprétation, étaient les Espagnols et les Français qui, à partir du XVIe siècle, avaient installé leurs colonies de Floride jusqu’en Californie. Pendant la guerre des colonisateurs nord-américains contre les pays européens, les prêtres et moines des ordres catholiques était reconnus comme des "agents ennemis" de pays étrangers. Maura Jane Farrelly, experte de la période coloniale à l’université Brandeis, rappelle que l’histoire de l’Amérique catholique commence officiellement dans les années 1820-1830 avec une vague d’immigration d’Allemagne, d’Irlande, d’Autriche-Hongrie, d’Italie et de Russie. En 1820, le nombre de catholiques en terres américaines est passé à 200 000 personnes, ils étaient près de 1,6 million trente ans plus tard et 12 millions à la fin du XIXe siècle.
Cette présence catholique grandissante a provoqué des tensions religieuses et politiques. Au XIXe siècle apparaît même le mouvement des nativistes, dont les idéologues les plus connus furent l’inventeur du télégraphe Samuel Morse et Lyman Beecher, père de la célèbre écrivaine opposée à l’esclavage et président du séminaire théologique de Cincinnati. Morse et Beecher pensaient que les archiprêtres catholiques, mais aussi les monarchies européennes ainsi que le chancelier autrichien Metternich et l’empereur russe Nicolas Ier, étaient tous impliqués dans un "complot contre la démocratie".
Le révérend David Endres, historien et enseignant d’histoire de l’Église et de théologie historique, rappelle que les catholiques américains étaient constamment soupçonnés de déloyauté et "d’identité américaine insuffisante" parce que leur "pasteur suprême" se trouvait à Rome. Aujourd’hui, explique l’historien catholique, ce problème revient à la surface — pour déterminer quoi de "catholique" et "Américain" doit être un nom propre ou un adjectif. Dans ce sens la découverte des archéologues à Jamestown permet aux catholiques américains d’inscrire leurs prédécesseurs dans les rangs des pères fondateurs du pays, et à Rome de se rapprocher de Washington. Évidemment, on se demande quel a été le sort de la communauté catholique secrète dans la première colonie anglaise et où sont passés ses membres et leurs descendants — se sont-ils dissous avec le temps dans la société protestante ou, pour plaire aux adeptes de la théorie du complot, sont-ils passés à la clandestinité pour continuer de vivre leurs coutumes en secret en recevant les instructions des papes de Rome ? Attendons la prochaine découverte des historiens pour le savoir.
Vidéo (en anglais) présentant les découvertes faites les archéologues sur le site de la première église de Jamestown :