Il est surprenant, et inquiétant, de voir à quel point le « monde libre » tend à perdre toute sa capacité de regard neutre, intelligent, précis et nuancé sur l’Histoire pour faire de celle-ci un instrument grossier et mensonger au service de son idéologie.
Les médias et les politiques américains, souvent très créatifs en matière de vulgarisation, sont ainsi en train de liquider un compromis culturel vieux de 150 ans : le droit, pour les habitants du Sud, de brandir ou exposer les symboles de la Confédération, autant en souvenir d’une époque lointaine que par fierté régionale.
La place des symboles confédérés, ce qu’ils signifient, leur présence sur les emblèmes et bâtiments officiels, est un débat ancien et larvé. La question est cependant remontée en surface en début d’année suite à un jugement de la Cour suprême autorisant l’État du Texas à refuser d’émettre des plaques d’immatriculation portant le « Battle Flag », le drapeau de combat de la Confédération sudiste [1]. Cette délibération a servi de base juridique à une cabale contre les symboles confédérés, qui s’est enclenchée suite à la tuerie de Charleston. Le jeune toxicomane suspecté d’avoir assassiné neuf personnes dans une église afro-américaine avec l’intention de provoquer « une guerre civile » avait en effet tendance à exhiber des drapeaux sudistes sur ses photos militantes.
Il n’en fallait pas moins pour justifier des demandes pressantes de retrait des symboles confédérés. Quatre États ont déclaré qu’ils n’émettraient plus de plaques d’immatriculation portant un des emblèmes incriminés. Le Mississippi retourne à ses discussions sur l’incrustation du Battle Flag dans son drapeau, bien qu’un référendum de 2001 ait décidé de son maintien. Un candidat républicain dans le Kentucky souhaite supprimer une statue de Jefferson Davis (président de la Confédération) [2]. Amazon, Ebay, Walmart et Sears parlent de retirer le drapeau confédéré de leurs catalogues [3]. Le point d’orgue se situe en Caroline du Sud, lieu du massacre en question, où des manifestants et des personnalités politiques, pris d’un débordement émotionnel proche de l’hystérie, ont exigé et obtenu le retrait du drapeau confédéré du Capitole de l’État de Caroline du Sud [4].
Ainsi, prohiber ces « symboles de haine » qui seraient « blessants » et contrariaient le « vivre-ensemble » serait une solution pour prévenir les crimes racistes de demain. Cette idée, outre son absurdité et la grave ignorance qu’elle charrie [5], témoigne d’une volonté très claire. Il ne s’agit plus de contenir le passéisme, ni même de s’en tenir à un regard froid et analytique sur des faits anciens ; il faut obligatoirement brocarder, rejeter, haïr certains lambeaux bien précis de l’Histoire, comme s’il n’y avait pas de continuité, comme si tout n’était que Bien ou Mal. Comment ne pas faire le parallèle avec la situation en France, où il est à présent intolérable de parler de la « parenthèse vichyste » autrement qu’avec des termes sentencieux et sans nuance ?