Le village aveyronnais de Laguiole a saisi le président de la République après une nouvelle décision de justice l’empêchant de retrouver l’usage de son nom, devenu propriété d’un entrepreneur qui le commercialise pour vendre des couteaux importés d’Asie et d’autres produits.
"Dans les prochains jours, nous souhaitons nous rendre à la capitale afin de vous demander audience et vous remettre la plaque de notre commune dont nous sommes dessaisis", écrit au président Vincent Alazard, maire DVD de Laguiole (prononcez : Layol) dans un courrier dont l’AFP a eu copie.
Le 4 avril, la cour d’appel de Paris a débouté la commune de 1 300 habitants qui souhaitait voir la justice reconnaître "une spoliation", une pratique commerciale "trompeuse" et une "atteinte à son nom, à son image et à sa renommée".
Cible du village : Gilbert Szajner, un habitant du Val-de-Marne, qui a déposé en 1993 la marque Laguiole pour désigner non seulement la coutellerie, qui a fait la réputation mondiale du bourg depuis 1829, mais aussi du linge de maison, des vêtements, briquets, barbecues... En tout 38 classes de produits.
Dans son arrêt, la cour d’appel estime qu’il résulte du code de propriété intellectuelle que "peuvent constituer une marque de fabrique, de commerce ou de service les noms patronymiques et géographiques. Elle estime aussi que la commune de Laguiole "ne démontre pas" que l’usage fait de son nom serait "de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou à préjudicier à ses administrés". La commune est condamnée à verser 100 000 euros de frais de justice à ses adversaires.
Conséquence : M. Szajner peut continuer à accorder, contre redevance, des licences à des entreprises françaises ou étrangères qui peuvent commercialiser sous le nom Laguiole des produits d’importation.
A contrario, les habitants de la commune ne peuvent plus, eux, utiliser le nom de leur village pour fabriquer des produits manufacturés portant le label "Laguiole", en dehors du fameux couteau rehaussé d’une abeille, déjà produit en dehors du village.
Dans cette bataille commerciale et identitaire, Gilbert Szajner a même interdit au village d’utiliser un nouveau logo. L’affaire est en appel devant l’OHMI (Office de l’harmonisation dans le marché intérieur), l’agence européenne chargée des marques.
Laguiole "made in Pakistan"
En 1997, la justice avait donné raison au village en condamnant M. Szajner pour contrefaçon mais la Cour d’appel a infirmé cette décision en 1999 arguant que le terme Laguiole était devenu "générique" pour désigner un couteau de forme particulière. Le village a alors engagé une procédure plus large portant sur son nom.
Le dossier a mobilisé villageois et entrepreneurs, dont le chef étoilé Michel Bras. En 2012, le bourg s’était symboliquement débaptisé, avec démontage du panneau signalant l’entrée de la localité, pour protester contre le jugement en sa défaveur.
À l’Assemblée, le dossier a déjà suscité en 2013 une modification législative (loi sur la consommation) ouvrant les "indications géographiques protégées (IGP)" - jusqu’alors réservées aux produits alimentaires -, aux produits manufacturés.
Une manière pour les consommateurs de pouvoir différencier un vrai couteau Laguiole de son clone "made in Pakistan" qui, en 2012, avait trouvé sa place au salon de l’Agriculture, au grand dam des artisans locaux.
"Mais les décrets d’application ne sont pas encore publiés", souligne Thierry Moysset, patron de la Forge de Laguiole (en photo ci-dessus avec Alain Delon), principal employeur de village avec 110 salariés. Et ils ne régleront pas la question du nom du village.
"Je suis scandalisé. Qu’on laisse ainsi un homme priver un village de son nom et s’enrichir sur son dos en faisant travailler des pays à bas coût, cela me révolte", explique Thierry Moysset. "J’espère que tout le monde va monter au créneau, ce combat devrait être celui de tous les Français", a-t-il ajouté en se demandant comment on peut demander à des communes de créer de l’emploi en les privant de leur identité.
Le maire de Laguiole entend saisir l’association des maires de France (AMF) dont il espère la solidarité pour régler les frais de justice et tenter de faire évoluer la loi. Il indique réfléchir également à un éventuel pourvoi en cassation.
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