Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Le talentueux monsieur Musk

Rébellion interroge Faits et Documents

La lettre confidentielle fondée par Emmanuel Ratier consacre un dossier complet sur la biographie d’Elon Musk. Nous avons demandé à l’équipe de nous donner un portrait de cet homme qui incarne son époque.

 

Faits & Documents consacre une vaste enquête à Elon Musk. Comment expliquer la fascination qu’il provoque chez de nombreuses personnes, y compris dans la droite nationale française ?

Faits & Documents : Déjà par son statut d’homme le plus riche du monde (devant Bernard Arnault et Jeff Bezos), et peut-être même, selon certains, d’« homme le plus riche de l’histoire », ensuite par son impact en termes de créativité industrielle qui le place, d’après les commentateurs, entre Walt Disney, Wernher von Braun et Thomas Edison, enfin par son implication politique exponentielle qui risque de faire de lui l’un des nouveaux César de l’Empire américain (via le DOGE, dont nous parlerons plus bas). Plus prosaïquement, ses sorties anti-woke et ses dénonciations d’un certain immigrationnisme européen (dénonciations qui n’épargnent pas George Soros, faisons-le remarquer) expliquent assurément l’intérêt de ce que vous appelez la droite nationale française...

 

Quelle place ses origines familiales et son enfance tiennent dans son parcours ?

Il y a plusieurs choses. Les conservateurs aiment rappeler ses origines sud-africaines et par conséquent son expérience d’une société multiethnique violente ; d’autres préfèrent axer sur son côté « enfant solitaire et réservé », voire « souffre- douleur » de son établissement scolaire ; plus récemment, son autisme déclaré semble devenir une explication globale, notamment pour ses détracteurs. Profitons de votre question pour citer un fait tout aussi décisif mais généralement peu mis en avant : l’influence de ses grands-parents maternels – et tout particulièrement de son grand-père Joshua Haldeman –, décrits comme des aventuriers touche-à-tout, épris de liberté, originaux et passionnés. Pour aller au bout sur les origines d’Elon Musk, faisons remarquer qu’en termes généalogiques, le sang qui coule dans ses veines est anglais, hollandais et suisse.

 

Quelles sont les racines culturelles de ce grand lecteur ? D’où viennent son imaginaire futuriste et son adoration de la technique ?

La plupart de ses biographes parlent de « lectures très larges et diverses, couvrant de nombreux domaines comme la philosophie, la religion, la science-fiction, la programmation, l’ingénierie, le business, la technologie, le design de produit et l’énergie » mais, si l’on veut entrer dans le détail, il apparaît évident que des auteurs comme Isaac Asimov, Robert Heinlein et J.R.R. Tolkien, ainsi que des personnalités comme Benjamin Franklin et Albert Einstein, constituent les bases de son imaginaire culturel.

 

Elon Musk, Peter Thiel (fondateur de Paypal), David Sacks (grand investisseur dans le numérique et ancien de Paypal) : on retrouve de nombreux blancs sud-africains, nés sous le régime de l’Apartheid, dans les grands patrons de la tech. Pensez-vous que cela a une influence sur leur conception du monde ?

Probablement, mais le fait qu’ils aient évolué en périphérie des États-Unis et ainsi échappé à un certain formatage idéologique (au sens large) semble fondamental pour expliquer leurs visions du monde « différentes ». En tout cas plus que le déterminisme racialo-politique...

 

Musk participe à l’émergence de l’industrie numérique comme moteur de l’économie mondiale. Quelle place a-t-il eu dans l’âge d’or de la Silicon Valley ?

Depuis la mort de Steve Jobs en 2011, la Silicon Valley se cherche un leader symbolique. Figure montante des années 2000, Elon Musk est passé d’outsider dans les années 2010 à prétendant numéro un au trône de leader de la Big Tech dans les années 2020.

Suivant la courbe d’une certaine « trumpisation des esprits », cette montée en puissance s’est illustrée sur le plan rhétorique d’une part (Musk a multiplié les déclarations cinglantes à l’encontre de Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Bill Gates, Tim Cook et Sergey Brin) et sur le plan juridique d’autre part (la pression mise par l’administration Trump sur les GAFAM lors de son premier mandat). Le rapport de force s’est aujourd’hui totalement inversé, à tel point que des spécialistes comme Nicole Gnesotto parlent avec effroi d’une « révolution idéologique » et d’un « moment historique très grave » caractérisé par une « alliance stratégique entre Trump et l’oligarchie de la tech ».

 

Sa fortune est devenue colossale. Paradoxalement, il a connu de nombreux ratages dans ses divers projets et a été sauvé par l’investissement public (dans le domaine spatial, des nouvelles énergies). Comment définir son modèle économique ?

Musk n’est pas un simple entrepreneur, il a des objectifs qui dépassent le cadre économique. Comme il le dit lui-même : « J’aime être engagé dans des affaires qui peuvent changer le monde. » SpaceX vise à coloniser Mars pour pallier la « destruction de la civilisation », Tesla cherche à « réconcilier respect de l’environnement et poursuite du progrès », Neuralink ambitionne « d’optimiser l’humain » et The Boring Company prétend « faciliter les transports humains ». Quant à Twitter, Musk revendique l’avoir racheté au nom de la liberté d’expression. Rappelons également qu’il envisageait aux début des années 2000 de se servir de PayPal, dont il est l’un des fondateurs, comme d’une arme contre l’ensemble du secteur bancaire.

Mais si l’on doit définir son modèle économique en termes très concrets, nous dirons que Musk, avec ce que certains nomment le « teslisme », bouleverse les codes industriels comme ont pu le faire avant lui le fordisme et le toyotisme. Son système d’organisation érigeant la vitesse, l’expérimentation et la responsabilisation en valeurs primordiales, le modèle Musk est généralement décrit comme « disruptif », ce qui ne se dément pas lorsqu’on y ajoute une incroyable et inédite capacité de « trolling économique » (selon l’expression d’Asma Mallha) qui confère à Musk un pouvoir de nuisance sans commune mesure sur les marchés financiers.

En ce qui concerne ses rapports avec l’État américain, le contrat gagnant-gagnant qu’il semble avoir signé avec l’administration Trump le place dans une situation tout aussi avantageuse.

 

Proche des démocrates à l’origine, il s’affirme aujourd’hui comme un soutien de Trump. Faire de l’argent ne semble plus lui suffire ou, au contraire, la politique est un bon moyen de faire des affaires pour lui ?

Musk se sert de l’économie et de la politique pour réaliser son projet civilisationnel planétaire. Certains pourraient considérer cela comme étant une forme de messianisme mais c’est son leitmotiv profond. De ce point de vue, les États-Unis eux-mêmes sont un moyen et non une fin pour lui. En s’impliquant comme il le fait aux côtés de Donald Trump, il assume pleinement le destin qu’il pense être le sien : celui d’un guide pour une humanité hantée par l’idée d’extinction.

 

Au final, Musk a-t-il une vision politique propre ?

Croire que Musk est juste un libertarien un peu fantasque est une erreur. Il a un agenda global déterminé par l’inquiétude existentielle que représente le déclin démographique humain. Toute sa vision politique découle de ce constat. Pour répondre à cette menace, il propose une approche dite de « technologie totale », l’automatisation de la société ayant pour but le maintien de la productivité en dépit de la diminution de la population active.

 

Comment expliquer sa « croisade » pour la liberté d’expression ? X (ex-Twitter) est-il pour vous un vrai espace de liberté ?

Selon ses propres termes, son attachement à la liberté d’expression est « absolutiste » et il procède de sa conception générale du monde : pour lui, X est « la place publique numérique où sont débattues des questions vitales pour l’avenir de l’humanité ». Ceci étant dit, X est plus qu’un réseau social, c’est aujourd’hui un média nouvelle génération en passe de prendre la place des médias dominants. Et l’usage intensif qu’en fait Elon Musk le propulse comme le plus gros influenceur du monde. L’importance du rachat de Twitter se dévoile donc sous nos yeux et révèle une stratégie politique sans commune mesure…

 

Quels sont ses rapports avec Donald Trump ?

Dans notre portrait détaillé, nous prouvons que Trump et Musk collaborent étroitement depuis 2016. Le récent coming out trumpiste de Musk qui interroge tant les journalistes est en réalité l’expression d’une dynamique profonde étant arrivée à sa phase triomphale. Le rôle de Musk est primordial pour le Président : que ce soit au niveau médiatique, économique, énergétique, géopolitique ou militaire, ses entreprises (X, Tesla, SpaceX) sont aujourd’hui indispensables au maintien et au déploiement de la puissance américaine. La presse souligne régulièrement l’âge avancé de Donald Trump (bientôt 80 ans) mais le pouvoir qu’il exerce est désormais partagé avec un trio de « jeunes » bras droits : Elon Musk, J.D. Vance et Vivek Ramaswamy. Trio auquel on peut ajouter Peter Thiel, plus en retrait mais tout aussi important. D’un point de vue plus « humain », difficile de jauger la teneur des rapports entretenus par Trump et Musk mais il semble que le Sud-Africain soit carrément intégré au cercle familial du républicain.

 

Les grands patrons étaient tous présents lors de l’investiture de Trump. Pensez-vous que cela est un acte de soumission de ses grands financiers du wokisme ?

Pour ces grands patrons, le wokisme était plus un outil idéologique qu’un réel objet de conviction. Observant l’État fédéral se radicaliser sous leurs yeux, ils abandonnent effectivement cet outil pour se mettre en conformité avec le nouvel ordre dominant. Reste à savoir si cette inversion du rapport de force va durer mais, vraisemblablement, nous avons changé d’époque de ce point de vue-là.

 

Musk semble vouloir soutenir des partis de droite nationale en Europe (en Allemagne, en Grande-Bretagne…). C’est dans un objectif précis ?

Probablement pour faire pression sur les gouvernements afin d’assurer l’allégeance de ces pays envers les États-Unis dans le cadre d’une confrontation avec la Russie.

 

À la fois chef d’entreprise et proche du pouvoir, Musk est-il en train de devenir un diplomate non officiel de Trump ?

C’est beaucoup plus que de la diplomatie. À la tête du DOGE (pour Department of Government Efficiency), Musk devient littéralement l’élément central d’une entreprise de réforme globale de l’Amérique. Organe de contrôle para- gouvernemental inédit, le DOGE place Musk au sommet de l’appareil d’État américain et lui confère un pouvoir politique extraordinaire : ayant droit théorique de vie ou de mort sur chacune des agences fédérales, le multimilliardaire sera le « nettoyeur » de Trump… Sous couvert de vent libertarien, la purge autoritaire de la bureaucratie états-unienne s’annonce sévère.

Propos recueillis par Elisabeth Heine

 

Le dossier complet dans Faits et Documents :

Un complément au portrait de F&D