Le marathon de sommets internationaux des deux premières semaines de novembre, le sommet Chine-ASEAN de Phnom Penh, le G20 à Bali, et l’APEC à Bangkok confirme que le centre du monde a résolument pivoté vers l’Asie. Un mois auparavant, la diplomatie chinoise occupait la même position centrale lors des sommets de l’Organisation de coopération de Shanghai à Samarcande et du Partenariat économique régional global à Qingdao, deux groupements inter-étatiques eurasiatiques initiés par Beijing qui regroupent 2/5 de la population mondiale, et notamment les trois économies les plus dynamiques du moment : la Chine, l’Inde et la Russie.
Au centre de ce tourbillon de réunions au sommet, la Chine de Xi Jinping se fait remarquer par son pragmatisme et son volontarisme à définir un cadre alternatif de relations diplomatiques aussi bien au sein de formats de négociations multilatérales que lors de rencontres bilatérales Sud-Sud, avec par exemple les États d’Asie du Sud-est, ce qui est en adéquation avec l’objectif pluri-millénaire de la Chine de cultiver et préserver des relations fructueuses et pacifiques avec son voisinage immédiat.
Le pragmatisme de Beijing ne signifie pas pour autant un nombrilisme sino-centré. Au G20 à Bali, Xi Jinping a démontré une fois de plus que la Chine entendait assumer pleinement les responsabilités qui incombent à sa nouvelle position économique et diplomatique. Dans son discours, il a mis en garde contre l’instrumentalisation des denrées alimentaires et de l’énergie, deux questions qui concernent plus les partenaires africains et moyen-orientaux de Beijing que la Chine elle-même. Beijing identifie les sécurités alimentaire et énergétique comme les deux problèmes les plus importants du moment menaçant les peuples du Sud global, causés non par une diminution de la production ou de la demande, mais par la disruption programmée de la chaîne d’approvisionnement par les suspects habituels, l’hégémon anglo-américain et ses divers affidés gouvernementaux, para-gouvernementaux et privés.
Le moment le plus attendu du G20 fut la rencontre bilatérale sino-américaine, initiée à la demande de Washington, et qui fut l’occasion pour Xi Jinping de rappeler à son homologue le fondement de la relation bilatérale : le respect des engagements américains au sujet de la politique de la Chine unique.
Revigoré par la chaleur et l’hospitalité balinaise, Joe Biden a récité en direct, et presque sans faute cette fois, les éléments de langage qui lui ont été dictés par ceux qui le maintiennent sur le devant de la scène : une série de garanties sur le fait que les États-Unis ne chercheraient pas à provoquer l’indépendance de Taïwan, ne voudraient pas d’une nouvelle Guerre froide et encore moins d’un découplage économique avec la Chine. Autant d’affirmations qu’il faut évidemment comprendre comme exactement le contraire des intentions de l’hégémon anglo-américain, qui se confirment chaque jour dans les faits : les discours apaisants du gouvernement américain envers la Chine sont immédiatement suivis d’une escalade de provocations, de sanctions nouvelles, et de chantage au découplage économique total.
Le G20 a démontré à Bali sa vétusté et son inadéquation aux évolutions du monde, en se transformant, sous l’impulsion du sous-groupe du G7, en un forum de critiques de la Russie sur le thème de la guerre en Ukraine. Les treize autres membres du G20, non-occidentaux et de cultures qui évitent traditionnellement la confrontation, ont préféré délaisser cette tentative occidentale d’attaquer frontalement la Russie sur un thème éminemment politique lors d’un forum économique, insultant au passage leur hôte indonésien.
En marge de ce sommet, le camp occidental a une nouvelle fois tenté de fracturer l’entente sino-russe en envoyant son tirailleur français implorer Xi Jinping d’intercéder en faveur de l’OTAN et tenter de ramener Vladimir Poutine à la table des négociations : un cruel aveu d’impuissance collective de la diplomatie américaine, de l’OTAN et d’une présidence française qui communique à outrance sur ses multiples appels à Vladimir Poutine, y compris ceux restés sans réponse.
La Chine de Xi Jinping se retrouve dans la position de la France gaullienne des années 60, au centre des relations internationales, dans le rôle de médiateur, tandis que la diplomatie française s’est effondrée au niveau de la diplomatie chinoise des années 60.
Pendant que, pour plaire à leurs sponsors, les dirigeants occidentaux surenchérissent dans les déclarations outrancières au sujet de la Russie mais aussi de la Chine, ne sachant plus si elle est un « rival systémique » ou carrément une « menace existentielle », la diplomatie chinoise est occupée à bâtir des partenariats stratégiques avec les États du Sud global : sous-continent indien, Moyen-orient, Afrique, Amérique latine, qui se rassembleront tous en 2023 au sommet des Nouvelles routes de la soie que Xi Jinping a promis d’organiser, rassemblant toujours plus autour de la Chine les peuples qui désirent s’affranchir de l’hystérie collective occidentale.