Hollywood a fait disparaître le mal numéro un de l’Amérique en récompensant trois actrices noires. Les bavures de rue, quant à elles, disparaîtront comme par enchantement..
L’actrice Viola Davis, ainsi que deux autres femmes de couleur, dont Uzo Aduba dans un rôle de transgenre, ont remporté un trophée aux Emmy Awards, consacrant ainsi « la victoire des minorités », claironne le journal Télérama, qui aime les versions à la fois officielle et hollywoodienne.
« A défaut d’une révolution, il a soufflé un vent de progressisme sur une partie des prix de cette 67e édition. »
Progressisme ? My ass !
Bienvenue dans les Minority Awards
- Viola Davis brandit son trophée, probablement volé à une Blanche
Chaque année, les Emmy Awards récompensent ceux qui font la télé, et qui la rendent populaire (et bénéficiaire) aux Etats-Unis et dans le monde entier. Ce sont les Oscars du petit écran, ou l’équivalent de nos Sept d’or pourris. Sauf que là-bas, la télé, c’est très important. C’est la vitrine nationale. Et la rampe de lancement des séries qui rapportent énormément de dollars, en écrasant toutes les productions nationales. Cette année donc, trois actrices noires ont raflé un Emmy. Incroyable coïncidence, à l’époque du revival des bavures qui dégénèrent en émeutes raciales.
C’est ça, l’Amérique : on flingue une demi-douzaine de Noirs dans la rue, et on s’excuse avec trois Awards. Une compensation puérile et manichéenne, qui n’arrête pas Hollywood et ses bons sentiments, lourds comme un bombardier B17. Il serait intéressant d’inverser les choses : les flics qui offrent des bouquets de fleurs aux coloured dans la rue, et Adam Samberg, le monsieur Jovial de la soirée des Emmy, qui abat les Noir(e)s un(e) par un(e) dans le public. Remarquez, c’est un peu ce qu’il a fait - au seconde degré -, puisqu’il a osé quelques vannes sur le racisme :
« Il s’agit du groupe de nommés le plus diversifié de l’histoire des Emmy, alors, félicitations Hollywood, t’as réussi ! Le racisme, c’est fini ! »
- Andy Samberg a une petite amie, mais blanche.
L’Amérique, cette vieille menteuse, raffole des symboles réparateurs, parce qu’elle n’aime pas sa réalité. Et quand elle la voit, quand elle se voit, elle ne se corrige pas beaucoup. Certes, le problème noir remonte à loin. Carrément à la naissance de l’Amérique. Le racisme est la malformation de naissance de l’Amérique. Les roots de la haine et du mépris sont encore bien implantées dans le pays de la discrimination positive sauce (spicy) Obama. La colère est toujours là, à fleur de peau. Elle couve.
Une candidate noire tonne contre le futur maire de Chicago : « Quand j’entends Rahm Emanuel parler de déficit budgétaire alors qu’on parle de réparations, je trouve ça insultant, et je vais vous dire pourquoi ! Ce pays a été construit sur notre dos, sur le dos de nos ancêtres, ils ont saigné, ils sont morts, ils ont été enchaînés, ils sont morts dans la souffrance, alors ne me parlez surtout pas de déficit budgétaire ! » (L’Effet papillon, Canal+, le 19 février 2011)
- La Noire est à gauche
A part sa petite sortie assortie d’une larme sur « la seule chose qui sépare les femmes de couleur de n’importe qui d’autre, ce sont les opportunités », le discours de Viola ressemble à tous les autres discours de remerciements : sans intérêt. On notera au milieu de cette séance d’autocongratulation collective et de réconciliation superficielle Noirs/Blancs que la chaîne HBO, la Canal+ américaine, que l’on disait mourante, rafle 14 statuettes pour 40 nominations. C’est la seule véritable info de la soirée. Le reste, c’est de la politique.
L’émotion de Viola et la victoire noire :
Les larmes d’Uzo et la victoire transgenre :
On est très contents pour Uzo, Viola et Télérama, car cela met du baume au cœur de ceux qui luttent contre le racisme et la transphobie, cette nouvelle branche branchée du racisme. Mais on imagine que Viola échangerait volontiers son écrase-cafards contre tous les Noirs morts ces derniers temps lors de contrôles policiers inopinés.
Ça, c’est de la démagogie.
Nous en sommes capables aussi, voyez-vous. Non, le problème noir ne sera pas résolu aux Etats-Unis tant (… qu’il y aura des Noirs ? - Tu sors, Kevin) que le problème éducatif global ne sera pas réglé. Vous allez nous dire, difficile pour un gosse noir de Baltimore de s’en sortir avec une mère au foyer, un père absent, disparu ou en taule, un frère mort, une sœur pute et des aides sociales qui ne couvrent pas l’essentiel. Le retard scolaire commence dans les familles. Ça remonte à loin, ça aussi. Femmes et hommes séparés pendant l’esclavage, la famille qui ressemble à une prison, une punition, pour l’homme (c’est le cas de tous les hommes, non, là on déconne)…
Les familles brisées par la pauvreté, les pères qui se taillaient à la moindre occasion… C’est vrai que d’assumer 11 gosses dans une misère noire n’est pas à la portée de n’importe qui. "Père de famille noire", on devrait même en faire une discipline olympique. Les Noirs gagneraient encore plus de médailles. Tiens, si on séparait les JO en JO de Blancs et JO de Noirs ? Il y a bien des JO de femmes et des JO d’hommes…
Le pays des amis de même couleur
Extrait du stupéfiant sondage diffusé par franceinfo.fr :
Arrêtons là notre délire racialiste. Evidemment que d’attribuer des statuettes à Viola et ses copines parce qu’elles sont noires est une absurdité du même type que celle qui consiste à considérer un jeune Noir dans une bagnole comme un criminel en puissance. Mais il y a là-bas 800 000 Noirs en taule sur 2,3 millions de personnes incarcérées, soit 35% du total, alors que les Noirs ne représentent que 10% de la population américaine.
Une disproportion qui résulte d’une logique historique et sociale, et non raciale. Ou alors il y a des races délinquantes ! Mais jusqu’à présent, ça n’a pas été prouvé. Chaque partie de l’humanité étant capable du meilleur, comme des pires horreurs. Par exemple, les Allemands sous Hitler étaient-ils des délinquants ? On relève les copies dans quatre heures. Quel peuple n’a pas délinqué dans son histoire ? Massacré ses voisins ?
- Les fifties, ou le bon vieux temps de l’American dream...
Les sociologues sérieux expliquent que la violence intrinsèque qui ravage la communauté noire est la traduction du mépris et de la haine que cette communauté a subis pendant des siècles d’esclavage et post-esclavage, et qui, ne pouvant s’exprimer en dehors du ghetto contre les maîtres blancs, se retournait contre elle-même.
Sur le schéma suivant, où le Wall Street Journal a croisé les données des 165 068 meurtres qui se sont étalés entre 2000 et 2010, deux constatations : 80% des victimes blanches sont tuées par des Blancs, tandis que 80% des victimes noires sont tuées par des Noirs. Et, plus étonnant encore, mais dans la logique des conclusions sociologiques précédentes, les Noirs, qui forment 12% de la population, contre 70% pour les Blancs, tuent proportionnellement sept fois plus que les Blancs, mais ils tuent majoritairement des Noirs ! CQFD.
Voici ce qu’écrit Michelle Alexander, ancienne assistante du juge de la Cour suprême, dans son livre Mass Incarceration in the Age of Colorblindness :
« Il y a aujourd’hui plus d’hommes africains-américains en prison ou en détention, en liberté surveillée ou liberté conditionnelle, que de Noirs qui furent soumis à l’esclavage en 1850 avant que la guerre civile ne commence. [...] 70% d’entre eux retournent en prison dans les deux ans qui suivent, voilà ce qui les attend. »
Il est vrai que les Américains, le suivi post-carcéral, c’est pas leur spécialité. Le social, c’est un mot qui n’existe pas, là-bas. Il y aurait peut-être un juste milieu à trouver entre la France, qui va parfois trop loin dans ce domaine, et les États-Unis, qui sont un peu timides sur ce volet.
En attendant un monde où les actrices noires ne recevront pas des statuettes parce qu’elles sont noires (elles n’ont qu’à incarner des Blanches, pour voir), nous comprenons que la discrimination positive ici crée mécaniquement une discrimination négative là, et réciproquement : ce sont les deux faces d’une même pièce.
Côté face, Viola Davis ; côté pile, le pauvre mec de 18 ans qui a braqué pour une poignée de dollars et qui restera embastillé à vie. A vie. Le stacking, pratique qui consiste à empiler les condamnations, a vu ainsi le jeune Quartavious Davis écoper de 162 années de prison pour une série de sept braquages à main armée (c’est vrai qu’il a un peu abusé), mais sans faire couler de sang. Sept détentions d’arme, sept braquages, sept fois 23 ans de prison en moyenne. Et là-bas, pas de remise de peine à la française ! Ou alors au bout de 81 ans, si Quartavious se tient peinard…
Mais peut-être que les progrès de la science feront qu’un jour, on pourra vivre 180 ans… Quartavious n’est pas près de revoir la lumière du jour, ou de connaître le bonheur de manger un bon steak en liberté. L’honnêteté, ça a du bon, quand même.
- Après avoir bien dansé, Candy et ses amies vont se manger une bonne tarte chez mamie Taubira
Quartavious aurait dû opérer dans le pays de Christiane « Candy » Taubira, où ça rigole un peu plus pour les voleurs. On espère, en achevant cette délicate chronique, que Viola ira voir Quartavious en taule. Pour le symbole. Pour que les deux faces d’une même pièce se réunissent. On exagère : l’Amérique n’est pas si racialement cloisonnée que ça. Il aurait pu y avoir les Emmy Awards pour Noirs, et les Emmy Awards pour Blancs, à la manière des charts musicaux pour Blancs, longtemps fermés aux artistes noirs (on les mettait dans la case « rythm and blues ») dans les années 1950. Quoique, c’est toujours un peu le cas, non ?