Depuis le début du procès-spectacle des attentats du 13 novembre 2015, nous assistons à un effondrement définitif du rôle de la presse, qui n’a pas été un quatrième pouvoir très longtemps en France. Aux 130 morts et 450 blessés, on peut ajouter une autre victime : l’information.
Pas la peine de s’escrimer sur cinq paragraphes pour prouver que l’émotion prime l’information, que l’émotion est utilisée pour noyer le poisson (et le poison) de l’info. Car on ne sait toujours pas qui a organisé cette opération de guerre inimaginable, surtout par une bande de jeunes djihadistes, en plein Paris. Si l’on peut saisir le but politique objectif (faire passer brutalement le pays du vieux socialo-sionisme antiraciste au nouveau national-sionisme islamophobe), on ignore tout ou presque de la chaîne de commandement, même si certaines pistes mènent à Rome, pour reprendre l’expression usitée.
La presse française, qui n’a pas beaucoup suivi les pistes possibles, comme pour la tuerie de Charlie Hebdo, s’est jetée comme une morte de faim sur la souffrance des survivants pour l’exploiter à mort. C’est toujours mieux que de remettre en question le rôle trouble des autorités avant ce jour fatidique.
La chaîne Arte a diffusé en septembre 2021 un documentaire, Les Ombres du Bataclan, qui a incriminé le Premier ministre de l’époque, ou plutôt dans lequel l’ancien PM s’est senti visé.
Manuel Valls a annoncé son intention de porter plainte pour "diffamation publique" contre Arte après la diffusion d'un documentaire l'accusant d'avoir privilégié des "intérêts électoraux au détriment de l'efficacité des interventions des forces de l'ordre" le #13Novembre2015 #AFP pic.twitter.com/bXd6tedeHK
— Agence France-Presse (@afpfr) September 16, 2021
Un documentaire accablant, diffusé sur Arte le 3 septembre et que @Valeurs a pu visionner, revient sur la gestion calamiteuse de l'attentat au Bataclan. "Il y a eu peut-être du retard dans les procédures", y admet l’ancien Premier ministre Manuel Valls https://t.co/rDUUpIA8pi
— Amaury Brelet (@AmauryBrelet) August 26, 2021
Le procès de ces attentats, qui a commencé le 10 septembre 2021, présente toujours des zones d’ombre. Même France 24 le reconnaît, sans aller trop loin. Les auteurs du doc aussi.
Ce qui nous importe, c’est le traitement de l’événement. Tout laisse à penser que les médias mainstream se sont mis d’accord pour shoatiser le 13/11. On s’explique : en ne médiatisant que la souffrance post-13 Novembre, les journaux, radios et télés sanctifient et sanctuarisent cet événement majeur qui crée un avant et un après. C’est un basculement, et un basculement calculé, qu’on ne peut pas imputer seulement aux exécutants. D’ailleurs, ils sont dans la salle comme des fantômes, certains dorment pendant les témoignages, comme s’ils s’en foutaient, des témoignages pourtant poignants, qui devraient déchirer le cœur de n’importe quel être humain. L’événement 13 Novembre devient ainsi intouchable, incritiquable, et si on critique non pas le 13/11, mais le traitement du 13/11, on est immanquablement balancé dans la fosse des assassins avec les complices des assassins.
Le terrorisme, c’est ce que font les médias en balançant
la souffrance des survivants à la gueule du grand public
En mettant uniquement la souffrance en avant, les médias érigent un mur infranchissable pour le vrai travail d’investigation, aux yeux du grand public bien entendu, car cela ne nous empêche pas de douter, de réfléchir, de travailler. L’onde de choc du 13/11 est là pour longtemps encore, et livrera un jour, peut-être, tous ses secrets.
Nous allons diffuser ces extraits qui plaisent tant à la presse, qui se vautre dans le sang, dans l’exhibition, dans les larmes, avec un sadisme confondant. Partager la souffrance des victimes, ceux qui ont survécu, les témoins et les proches, car pour les morts il n’y a plus de souffrance, ne sert à rien : l’empathie ne leur enlèvera pas un gramme de douleur, car la douleur nous ramène à notre peau, à notre individualité, à notre solitude devant la mort.
Si la Villeurbannaise n’est pas complètement sûr de trouver la force de parler devant l’assemblée, elle confie que son témoignage est déjà écrit « pour ne rien n’oublier ». À l’intérieur, la rescapée parle de son 13 novembre « à elle », c’est-à-dire de tous « ces détails, des couleurs, des odeurs ». En revanche, Sophie omettra volontairement certains faits « il y a des choses dites par d’autres victimes dont je ne me rappelle pas. Par exemple, j’ai un black-out total sur le visage des terroristes. Pourtant, je me souviens bien de leur sourire quand ils nous tiraient dessus » assure-t-elle en marquant plusieurs pauses, plein d’émotions. « Ils étaient extrêmement calmes. J’avais l’impression d’avoir en face de moi des jeunes en train de jouer à Call of Duty. Pour eux, c’était un plaisir de faire ça » continue-t-elle. (Lyon Capitale)
Comment annoncer à son petit garçon de 6 ans que son père est mort dans un attentat terroriste ? Le 14 novembre 2015, vers 14 heures, Corinne reçoit le coup de téléphone qu’elle redoutait : son ex-compagnon, Nicolas Classeau, fait partie des victimes du Bataclan. « J’entends un message de sa mère sur le répondeur qui me dit que Nicolas est à l’ILM (l’Institut médico-légal). C’est fini », raconte cette journaliste de l’AFP, submergée par l’émotion, face à la cour d’assises spéciale de Paris, jeudi 14 octobre.
Lazare n’entend pas sa mère fondre en sanglots : il est assis à table, en train de manger ses pâtes, « heureux et insouciant ». Elle lui accorde « quelques instants de répit » et l’emmène comme prévu à une fête d’anniversaire. À son retour, elle décide de tout lui annoncer, « en employant des mots précis pour qu’il n’y ait pas de doute », se souvient Corinne. « Alors je ne verrai plus jamais mon papa ? » demande l’enfant. « Il fond en larmes et dit : “J’ai plus de papa”. En deux phrases il avait résumé la situation ». (France Info)
La peluche, un nounours, est posée à côté d’elle. Elle l’avait prise pour aller à Paris reconnaître son fils à l’Institut médico-légal. Elle voulait qu’elle l’accompagne dans sa « dernière demeure ». Elle l’a finalement gardée. « Cela fait six ans, il me manque de plus en plus, j’ai besoin d’aller dans sa chambre et cette peluche, maintenant, elle est à côté de la photo de Romain ». Elle parle de cette « plaie qui ne cicatrisera jamais », pour elle et son mari. « Maintenant, les noëls, les anniversaires sont trop difficiles pour nous, ce ne sont pas des fêtes. Son papa ne peut pas l’accepter, il vit dans une bulle, il n’est pas venu à ce procès ».
Secouée de sanglots, elle demande la permission de lire une lettre que leur a écrite Romain en 2009 pour Noël. À l’époque, il a 25 ans. « Maman, papa, pour ce noël, j’ai beaucoup réfléchi au cadeau que je pouvais vous faire en ces temps de crise, lit-elle. Il est temps de vous offrir un cadeau qui porte tout l’amour que j’ai pour vous. » Ce cadeau, ce sont les mots d’un fils empli de gratitude. La voix de Romain résonne dans la salle d’audience à travers celle de sa mère : « Merci pour l’éducation que j’ai reçue, je suis quelqu’un qui passe partout, c’est surtout grâce à vous ». (France Info)
Eux sont là pour témoigner à la barre. Elles, on ne les voit plus que sur des photos projetées dans la grande salle de bois clair. Si Alice est en vie, c’est parce qu’Aristide, son frère, a pris les balles qui lui étaient promises. Émilie et Charlotte, jumelles jusque dans la mort, n’ont pas eu le temps de se protéger. Cette nuit du 13 novembre 2015, des jeunes sont morts. D’autres non.
Alice est la première à se présenter à la barre de la cour d’assises spécialement composée. Ce jeudi, 17 nouveaux récits sont venus submerger une arène contrainte de s’habituer à pleurer. « Avec mon frère, Aristide, on se bat à chaque instant de notre quotidien pour que cet épisode ne grignote pas toute notre vie », murmure-t-elle. Pour eux, ce 13 novembre était une parenthèse bénie. Elle, voltigeuse dans les cirques, est toujours en tournée. Lui, rugbyman professionnel, joue en Italie. (Libération)
À ce moment-là, le nom de son neveu, Samy, apparaît sur l’écran du téléphone de sa mère. Il a 13 ans. Il n’est élevé que par sa mère, et veut des nouvelles. « Je me dis que c’est impossible. Je lui dis que nous ne savons toujours pas. Je me souviens avoir pensé : “Je veux qu’il dorme, demain va être terrible.” »
Samy a aujourd’hui 19 ans. Sa tante est devenue sa tutrice. Il se tient à la barre, à ses côtés, et il pleure. Il a perdu, en quelques secondes, sur la terrasse de La Belle Équipe, sa mère, son beau-père Thierry, sa marraine Justine, et tous ses « tontons et tatas », les amis de sa mère. (Nouvel Obs)
Eux aussi entendent les pas des terroristes qui se rapprochent, s’éloignent. Johanna, chevelure blonde décolorée, toute frêle, mais sacrément solide, lit un texte : « Mathieu nous demande comme dans les films de dire à son fils qu’il l’aime et, comme dans les films, je lui dis : “Tu lui diras toi-même”. » Sa chemise se teinte de sang. « Il souffre, il gémit, et nous devons lui demander de se taire, il n’a même pas le droit de se plaindre », poursuit Johanna, devant une salle plongée dans un film d’horreur sans fin. (Nouvel Obs)
C’est une madre qui s’avance la première à la barre ce 13 octobre, au vingt-quatrième jour de ce procès des attentats du 13 novembre 2015. Luciana est venue d’Italie pour témoigner, en mémoire de sa fille Valeria, morte à 28 ans au Bataclan. « Valeria était une source de bonheur, nous allons la pleurer à jamais ». Valeria terminait un doctorat en démographie à La Sorbonne. Elle vivait en France depuis 2009. « Je souhaite que mon témoignage ainsi que celui de toutes les autres personnes permette que la douleur et souffrance des victimes entrent dans l’Histoire », conclut cette mamma italienne, très sobre, très digne. Avant de retourner s’asseoir, Luciana dit à la cour qu’elle vient régulièrement à Paris déposer une fleur devant le monument érigé en mémoire des victimes du Bataclan, dans le square juste en face de la salle de concert, « c’est le petit jardin le plus moche de Paris, mais c’est pas grave ». (France Inter)
Les médias qui collaborent avec le Système disposent de plusieurs instruments pour ne pas dire ou ne pas chercher la vérité : la diversion, la minimisation, l’indifférence, l’oubli, le mensonge par omission, le mensonge direct, et depuis ce procès, le poignantisme.
La polémique Arte/Valls
L’ancien PM se défend d’avoir privilégié l’intervention de la BRI pour des raisons électorales... Le Figaro du 16 septembre 2021 écrit :
« Dans le documentaire « Les ombres du Bataclan », diffusé le 3 septembre, il est affirmé que j’aurais privilégié comme Premier ministre des intérêts électoraux au détriment de l’efficacité des interventions des forces de l’ordre lors de la nuit des attentats du 13 novembre 2015. Cela revient à m’imputer un cynisme quasi diabolique puisque je n’hésiterais pas à sacrifier des vies humaines sur l’autel d’un tortueux calcul électoral », explique l’homme politique, avant d’ajouter que « ces propos dépassent largement les limites admissibles de la liberté d’expression ». Dans un quatrième message, Manuel Valls estime en conclusion que « ces affirmations d’une violence inouïe, formulées sans aucun souci d’exactitude et sur lesquelles il ne m’a pas été permis de répondre précisément, caractérisent à l’évidence le délit de diffamation publique envers une personne publique ».
Début septembre, la chaîne franco-allemande avait diffusé en deuxième partie de soirée un documentaire revenant sur les dysfonctionnements des autorités au moment des attentats de 2015, qui donnait notamment la parole à Manuel Valls, alors Premier ministre et Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Dans ce programme, un ancien officier du renseignement accuse l’ancien Premier ministre de François Hollande d’avoir pris certaines décisions non en fonction de l’intérêt général mais parce qu’il « visait clairement le poste de président de la République. Il avait besoin de s’accaparer les bonnes grâces au sein des policiers. Ce qui n’était pas gagné ».
Interrogé par Le Figaro, Manuel Valls revient sur cette séquence. « Selon cette personne, j’aurais privilégié l’intervention de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) le soir du 13 Novembre car je serais, selon elle, proche de leur patron. Je lui aurais fait cette faveur pour qu’il m’aide ensuite pour la présidentielle. C’est absurde, et grave de dire que j’aurais favorisé la BRI pour des raisons électorales. J’aurais eu un esprit diabolique à avoir des intérêts en fonction de qui intervenait », assure-t-il.
On se souvient qu’une colonne (armée) de Sentinelle, ce soir-là, alors qu’elle était près du Bataclan, n’a pas reçu l’ordre d’intervenir. Le Monde écrit :
Le soir des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, huit soldats de l’opération « Sentinelle » sont arrivés peu après 22 heures aux abords du Bataclan, où se déroulait la prise d’otages. Ils se sont positionnés près des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) du Val-de-Marne, arrivés les premiers mais sous-équipés, et qui se faisaient tirer dessus par les terroristes. Les militaires ne sont pas intervenus. Les policiers leur ont alors demandé de leur prêter leur fusil d’assaut Famas ; ce que les soldats ont refusé de faire, conformément au règlement militaire.
Le fait que ces soldats ne soient pas intervenus a déjà fait l’objet de nombreux débats. Un rapport d’enquête parlementaire publié en juillet 2016 a permis d’avoir des éléments d’explication. Un brigadier-chef de la police appelé sur place ce soir-là a affirmé qu’il avait demandé l’autorisation d’engager ces hommes. Mais la préfecture de police, qui a autorité sur le dispositif « Sentinelle », lui a répondu : « Négatif, vous n’engagez pas les militaires, on n’est pas en zone de guerre. » Contactée, la préfecture de police « ne souhaite pas commenter, puisqu’une enquête est en cours ».