Tableau interactif, ordinateur, tablette : le numérique pénètre les écoles. Ces nouveaux outils servent-ils l’apprentissage et la pédagogie ? Ou les intérêts commerciaux des géants de l’Internet et de l’électronique ?
Roberto Casati, philosophe spécialiste des sciences cognitives, s’interroge sur les conséquences de ces technologies. Selon lui, elles altèrent nos capacités à lire avec attention, à se concentrer. Sans que les élèves en sachent beaucoup plus sur le fonctionnement d’un ordinateur, d’un logiciel ou d’un moteur de recherche. « Ce qui compte, pour les géants de ce système, c’est que vous soyez connectés en permanence afin de pouvoir vous proposer continuellement des produits. » Entretien.
Basta ! : Pourquoi la tablette ne vous semble-t-elle pas adaptée à la lecture ? Quels sont au contraire les avantages du livre papier ?
Roberto Casati [1] : D’après des spécialistes de la lecture comme Maryanne Wolf [2], les enfants qui appartiennent à des familles qui les font lire ou leur lisent des livres ont un lexique presque double, vers leurs dix ans, par rapport aux enfants qui n’ont pas ce privilège. L’école devrait permettre à ce dernier groupe de rattraper ce désavantage, c’est une question d’équité. Pour ce faire, elle devrait donner le goût de la lecture. Ce sont les livres qui amplifient le lexique. Ce n’est donc pas tellement la lecture, mais la lecture approfondie de textes de plus en plus complexes, qui est menacée. Il est évident que les jeunes "lisent" beaucoup sur leurs écrans, mais les données indiquent qu’ils lisent des textes ultra-simples. L’avantage du livre papier est très clair : il n’offre pas de distractions, il stipule un « contrat sur l’attention » qui favorise la concentration.
Les élèves qui utilisent les outils numérique dans l’apprentissage ont-ils de meilleurs résultats scolaires ?
Il n’y a pas une réponse uniforme. Les données PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, mené par l’OCDE, ndlr) suggèrent que les effets positifs de l’usage du numérique sont évidents pour des usages modérés. Si on augmente la dose, la courbe s’aplatit, et pointe vers le bas pour des usages intensifs – ce qui signifie des résultats moindres. Les avantages semblent d’ailleurs corrélés avec les statuts socio-économiques : si vous êtes de milieu aisé, ou que vous avez des parents cultivés, vous tirez un certain avantage de l’usage modéré du numérique. Sur un autre aspect, dans le cadre du soutien aux élèves qui ont des difficultés, comme ceux souffrant de dyscalculie (trouble dans les apprentissages numériques, comme les mathématiques, ndlr) ou de dyspraxie (difficulté à écrire à la main et à automatiser l’écriture manuelle, ndlr), on observe des avantages clairs pour des tâches spécifiques. Mais certains auteurs et chercheurs, notamment Manfred Spitzer (spécialiste allemand des neurosciences, ndlr) constatent qu’une trop grande exposition aux écrans a des effets très négatifs sur les élèves : perte de sommeil, comportements asociaux ou perte de compétences spatiales.