Préambule
Le mouvement de pensée Alt-Right (Droite alternative) dont il est question dans cet article n’a pas de réalité institutionnelle, ni même de définition claire. Le terme, inventé par Richard B. Spencer, a pris une dimension nouvelle à la lumière de l’élection de Donald Trump. On pourrait dire qu’« Alt-Right » existe en creux, défini par ses opposants : la presse, les lobbies et les partis dominants. Le système médiatico-politique, qui a été rejeté le 8 novembre 2016 par une majorité de grands électeurs, fourre dans l’expression péjorative « Alt-Right » tout ce qui ne lui convient pas : la droite dure, le racisme, le fascisme, le nazisme. À l’image de ce qui a été fait avec le FN chez nous.
Dans son édition du dimanche 2 décembre, le New York Times s’intéresse à la nouvelle nébuleuse de la « fierté blanche » américaine. Sous le nom d’Alt-Right (Droite alternative), une tendance s’est fait jour à l’occasion de la très dure campagne présidentielle, tendance minoritaire mais suffisamment inquiétante aux yeux du très influent journal des élites de la côte Est pour justifier un long papier.
Alt-Right, mouvement politique sans structure politique classique, connaîtra la consécration grâce à un discours dédié d’Hillary Clinton, fin août 2016, dans lequel elle accuse son adversaire républicain « d’exploiter cette nouvelle forme de la suprématie blanche ». Il est vrai que les principes de son fondateur, Richard B. Spencer, sont plutôt directs :
Nous ne sommes pas destinés à vivre dans la honte, la faiblesse et la disgrâce. Nous ne prierons pas pour nous faire accepter par certaines des créatures les plus méprisables que la terre ait jamais portées.
Make (white) America great again
Le NYT relie cette mouvance de droite « blanche » ou pro-blanche à celle, beaucoup plus structurée et reconnue, de Stephen K. Bannon, l’ex-patron de Breitbart News – Bannon reconnaît lui-même que sa plate-forme sert les intérêts d’Alt-Right – devenu conseiller du président Trump en matière de politique intérieure. Ce qui inclut les minorités, sujet ô combien sensible et ô combien exploité outre-Atlantique. Lors de la campagne, sans en être des supporters absolus, les membres d’Alt-Right ont soutenu Donald Trump dans toutes ses sorties populistes ou soi-disant racistes. Ils ont vu derrière les discours du milliardaire qui promettait de « rendre l’Amérique à nouveau grande », des intentions cachées qui correspondaient aux leurs : la reconnaissance de la race blanche, qui a fait l’Amérique, et qui pâtit aujourd’hui du multiculturalisme, une cohabitation forcée due aux élites anti-américaines qui s’est transformée en guerre interraciale et en tirage du peuple américain vers le bas. Les communautés noire et hispanique sont dans le viseur.
Curieusement, à travers l’analyse du NYT, on devine sans difficultés que le système voit d’un mauvais œil cette émergence d’une fierté blanche, alors qu’il a – pour des raisons de domination sociale – exalté les fiertés des minorités noire, féministe et homosexuelle. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la problématique Alt-Right. Une chose est sûre : dans ce mouvement se mêlent des anti-Système comme des identitaires blancs. Les conditions politico-historiques des Etats-Unis font que la contestation du Système passe aujourd’hui par une reconnaissance de la communauté blanche, ce qui arrange in fine les affaires de l’oligarchie, qui a toujours escamoté la problématique sociale (la lutte des classes) avec la problématique raciale. En ce sens, le mouvement Alt-Right n’est pas si anti-Système que cela. Mais poursuivons avec l’analyse du NYT…
- Stephen Bannon, le conseiller politique de Donald Trump
On pourrait les appeler des super-identitaires, beaucoup plus radicaux que les identitaires français, qui ne sont pas aussi explicites. Donald Trump n’a pas condamné les sorties de ces fondamentalistes blancs, car ils n’ont pas fait partie de ses militants officiels, même s’il a dû expliquer une fois que ses thèses n’avaient rien de « nazi ». Les néonazis américains se sont pourtant reconnus en lui, mais ne lui ont pas donné la victoire : statistiquement et électoralement, ils pèsent peu. Pourtant, ils ont été très actifs pendant les grandes batailles médiatiques de septembre et d’octobre 2016, fondant comme un seul homme sur les adversaires idéologiques déclarés de « leur » représentant. Ce qui a ravi – négativement – les médias mainstream, trouvant là de quoi alourdir la besace malpensante du « mauvais » candidat.
Ainsi, les journalistes pro-système ont-ils subi des attaques en règle sur Twitter, particulièrement s’ils étaient reconnus comme juifs. Les activistes d’Alt-Right ont à ce propos établi des règles typographiques pour dénoncer les journalistes juifs anti-Trump sur les réseaux sociaux, en leur attribuant par exemple trois paires de parenthèses ! Pour eux, il ne fait aucun doute que ces journalistes travaillent pour le Système et contre Trump. De leur côté, sous la férule de Spencer, les Alt-Right défendent un programme tout simple : non pas persécuter les journalistes juifs, mais imposer un moratoire de 50 ans sur toute immigration à l’Amérique. Selon lui, « la race est réelle, la race compte, et la race est le fondement de l’identité ». On peut aisément y voir un écho au Black lives matter, « les vies noires comptent », scandé par les activistes noirs contre les violences policières, sous-entendu « blanches ».
Là-bas, les amalgames fusent sans vraiment de limites. Le risque est réel de voir, après un demi-siècle de tolérance à l’égard des Noirs, le peuple blanc pratiquer une politique identitaire antinoire. Certains observateurs accusent déjà Trump d’être un leader blanc pour les Blancs. Les bras levés dans des réunions Alt-Right sont plutôt gênants pour le nouveau président américain. Justement, et l’article du NYT ne l’a pas vu, Alt-Right résonne étrangement avec « Alt-Reich » (Altreich), ce Reich fantasmé que les nazis voulaient retrouver (par les recherches archéologiques d’Himmler et ses services), ou rebâtir (par les armes). D’abord par les territoires, en s’appuyant sur l’histoire européenne, et enfin par les croyances nordiques. L’Altreich était ce mélange d’âme et de sol. Les Alt-Right américains revendiquent leur attachement à leur communauté et à la terre américaine. Un « Blut und Boden » sauce US.
Voyons maintenant quelles sont les personnalités qui symbolisent cette nouvelle tendance. Dans la nébuleuse « blanche », on retrouve David Duke, l’ancien leader du KKK, Jared Taylor à la tête du magazine et du site American Renaissance, Kevin McDonald, professeur de psychologie à la retraite, dont « la trilogie sur l’influence juive est une pierre angulaire du mouvement », ou encore Andrew Anglin, qui dirige le site néonazi The Daily Stormer (en référence au Stürmer allemand des années 30). Leur credo : le retour des immigrés chez eux. Pourtant, le NYT reconnaît qu’ils ne sont pas tous racistes. Ainsi, il s’agirait plus de « nationalistes Blancs » que de « suprémacistes blancs », le suprémacisme induisant les notions de racisme et de supériorité. Là, il faudrait plutôt parler de séparatisme.
Selon un spécialiste des mouvements « blancs » qui les suit depuis 17 ans, « c’est la première fois qu’il les voit se déclarer pour un candidat ». De son côté, Trump a naturellement désavoué ces alliés encombrants, notamment les excès de langage de Spencer, mais ses attaques de l’establishment ont trouvé un écho favorable dans cette frange de population, autrefois relativement ignorée ou cachée par les médias. C’est d’ailleurs ce qui a produit une scission avec l’appareil classique républicain, qui est aussi attaché à l’establishment que l’appareil démocrate. En ce sens, Trump a mené une campagne anti-Système, basée sur des populations et des mouvements qui n’étaient pas évidents à réunir. Son programme très cohérent a réussi cette fusion, au grand dam de l’establishment politique, des médias et des sondeurs, qui composent ce système de dominance et contribuent à son maintien.
- Richard Spencer sur Millenial Woes
Alors, Trump, nationaliste blanc (comme le suggère la photo de une) ou politicien opportuniste, qui a su sentir les aspirations d’une Amérique cachée, longtemps culpabilisée par l’idéologie antiraciste dominante ?
Réponse du blogueur Alt-Right de Millennial Woes (Malheurs millénaires) :
« Je pense qu’il veut seulement restaurer l’Amérique qu’il a connue quand il était jeune homme, ou même enfant. Et je pense qu’il sait probablement à un certain niveau que la façon de réaliser cela est d’avoir plus de personnes blanches ici et moins de personnes colorées. »
Spencer, lui, pense que « Trump est la première marche vers une politique identitaire au profit des Euro-américains », une expression qu’on peut sans risque opposer à Afro-américains. Dès 2014, Bannon a tenté de lancer un pont entre cette aile droite américaine (Alt-Right) et certains mouvements populistes européens. Les manifestations géantes contre le mariage gay en France puis en Italie ont été l’occasion de faire émerger des mouvements de protestation politique plus larges contre la social-démocratie. Bannon se montre très optimiste sur le fait que le Front national français pourrait, avec le temps, rejoindre ce mouvement de résistance mondiale. Il ne tarit pas d’éloges sur Marion Maréchal Le Pen, qu’il a rencontrée après l’élection de Trump.
L’Alt-Right touche aussi les chrétiens conservateurs (le mouvement Tea Party), plus intégrés dans le système américain, mais tentés par la fronde, vu l’échec de ses précédents représentants. Cependant, les jeunes Alt-Right ne sont pas conservateurs, ni même nostalgiques : ils ignorent souvent l’histoire de leur pays et quasiment tout de la politique classique. Pour eux, le multiculturalisme est à combattre, non pas pour retourner dans un passé ethniquement « pur », mais pour ne pas disparaître en tant que Blancs. On pourrait presque dire que ce mouvement de défense identitaire est une composante de plus en plus identifiable du multiculturalisme global, à l’image des mouvements identitaires noirs et latinos.
Politiquement, le mouvement Alt-Right n’est certes pas massif, mais son influence sur les idées, sur les structures mentales dans une Amérique divisée, et en proie au doute, augmente grâce à son activité sur l’Internet. Par exemple, et ce n’est pas négligeable, le jeune mais très nombreux public des « gamers » est très pénétré des idées Alt-Right. En France aussi, sans le savoir, et ils ont été censurés pour cela, sur le très controversé (par la presse mainstream) forum de jeux-videos.com. Un forum pas si apolitique que ça…
Justement, selon le NYT, l’Internet aurait libéré nos instincts les plus vils (ne pas oublier que le NYT est menacé par l’influence du Net). Pendant que les autres mouvements tablaient sur des discours et des militants, les Alt-Right, eux, trollaient à mort sur le Net. C’est le cas de le dire : ils ont harcelé les journalistes (parfois durement) opposés à Trump en leur envoyant des messages de menaces, des photos de leurs enfants… Les journalistes juifs ont été particulièrement visés, ou ceux dont les noms avaient une consonance juive. La « Troll army » du Daily Stormer a déployé une agressivité jamais vue dans ce domaine. Devant le flot d’attaques ad hominem, en novembre 2016, beaucoup de comptes Twitter d’auteurs Alt-Right ont été fermés, jusqu’à celui de Spencer.
En guise de conclusion, les Alt-Right sont démographiquement minoritaires, mais ils sont les précurseurs, selon le spécialiste des sciences politiques Carol Swain, d’une prise de conscience touchant toute la communauté blanche, qui n’existait pas vraiment en tant que telle jusque-là, et qui sent, à l’instar d’une minorité, que son identité est « under attack ».
Le NYT assimile la montée de la fierté blanche à une menace pour la démocratie, alors que ce journal pro-Système, qui incarne même le Système puisqu’il en est le porte-voix mondial, a de tous temps fait la promotion de la société multiculturelle, qui est devenue une réalité. On peut même parler d’une société multiraciste. Au tour des Blancs de s’organiser en minorité agissante, sur le modèle des Noirs ou des Latinos, ce qui ne mènera l’Amérique nulle part, le modèle d’apartheid sud-africain n’ayant pas longtemps fonctionné. Le modèle racialiste israélien n’a pas non plus beaucoup d’avenir.
Cependant, il y a l’apartheid politique et l’apartheid de fait : ce dernier est basé sur des réalités sociales dures. C’est bien celui-là qui unit dans la mouise la majorité des Noirs, des Latinos et des petits Blancs, dont l’organisation politique – on appelle ça la gauche de contestation – ne doit absolument pas voir le jour aux États-Unis, car la question sociale viendrait s’asseoir sur la question raciale. Qui, au fond, arrange le Système. Car tant que les exploités seront désunis, les exploiteurs seront tranquilles. Les « petits Blancs » justement anti-Système du mouvement Alt-Right, au lieu d’entrer dans un conflit interethnique triangulaire, devraient plutôt voir dans leur situation une solidarité de fait avec les Noirs et les Latinos, devant lesquels il n’est point besoin d’ajouter le préfixe « petits ».
Où l’on devine toute l’ingénierie de la racialisation ou de l’ethnicisation de la contestation...