Le gouvernement de Mikhaïl Saakachvili est connu de tous pour son libéralisme ardent. Les thèmes de démocratie, de liberté, d’économie de marché figurent dans chaque déclaration du président, et dans celles d’autres fonctionnaires également. Il y a aussi les faits : la procédure d’ouverture d’une entreprise personnelle est significativement simplifiée, la corruption dans la police et dans les tribunaux est pratiquement liquidée, les infrastructures commerciales, les routes, les ponts, les ports, tout se construit de façon intensive.
D’autre part, à en croire les représentants de l’opposition géorgienne et certaines organisations des droits de l’Homme, la libéralisation touche principalement l’économie et en ce qui concerne la vie politique et sociale, un réel autoritarisme s’est établi dans le pays.
Une table ronde sur le thème « Les Droits de l’Homme en Géorgie » a été organisée dans le centre de presse de RIA Novosti. « Nous avons étudié un grand nombre d’enquêtes criminelles et nous y avons trouvé au moins 60 personnes condamnées pour des raisons politiques et pas pour des crimes commis. Il y a maintenant des prisonniers politiques en Géorgie » , indique Taras Gagnidze, le président de l’ONG « Patrimoine historique ». « L’extension du système pénitentiaire en Géorgie est une preuve flagrante des poursuites engagées par les autorités contre les convictions populaires. Au cours de la période soviétique, près de 10 000 prisonniers avaient été recensés, après l’effondrement de l’URSS ce nombre a baissé jusqu’à 5000 ou 7000, or aujourd’hui on en compte 30 000 », déclare Nana Kakabadze, directrice d’une autre association nommée « Anciens prisonniers politiques en faveur des droits de l’Homme ».
« En Géorgie, les abus du parquet ont été en fait formellement fixés par la législation : il peut tout à fait légalement arrêter et fouiller quiconque sans mandat du tribunal », ajoute Taras Gagnidze. Selon lui, les « indésirables » sont très souvent victimes d’abus orchestrés par un « gang protégé par le gouvernement ». « Après avoir préparé un texte sur les violations des droits de l’Homme en Géorgie intitulé « zone de non droit », des casseurs sont venus mettre à sac notre bureau. Heureusement, le livre a pu être publié », déclare -t-il. Le journaliste géorgien Arno Khidirbeguichvili a déclaré qu’il n’y avait pas de médias indépendants dans le pays : ils sont tous soit transformés par les autorités actuelles en « organismes de propagande de Saakachvili », soit liquidés intégralement.
« Dans le libéralisme, toutes les réclamations émanant de la société sont soutenues par le gouvernement, et de ce point de vue notre pays ne peut être en aucun cas qualifié de libéral car Saakachvili en a exclu de force la langue russe », déclare le journaliste. « Les autorités géorgiennes ont créé un milieu agressif pour le journalisme russophone et pour la culture russe. Grâce à cette politique, la jeune génération des Géorgiens qui a grandi après l’effondrement de l’URSS et qui ne connait pas la Russie a été éduquée avec succès dans la haine de celle-ci. Aujourd’hui, on peut se faire insulter si on parle russe dans un lieu public », constate Arno Khidirbeguichvili. Il souligne qu’une telle politique ne contribue pas seulement à susciter des conflits dans le Caucase en général, mais met en place également le « génocide moral » de l’ancienne génération qui a construit l’État géorgien riche et puissant avec la Russie.
« Cela ne montre pas probablement notre peuple sous son meilleur jour mais à Gori on vénère encore Joseph Staline, ajoute Nana Kakabadze. La démolition récente de son monument, sur l’opportunité de laquelle personne n’a été interrogé, a fait une détestable impression sur les habitants. Mon amie m’avait demandé de rendre visite à l’une de ses parents, victime d’une crise cardiaque après avoir appris ce qui s’était passé », déclare-t-elle. « Comprenez bien que lorsqu’on dit que la population du pays est de 5 millions d’habitants, c’est un mensonge. En réalité il n’y en a que 2,5 millions d’habitants, dont 700 000 représentent les minorités nationales qui ne parlent généralement pas géorgien et votent pour Saakachvili en signe de soumission. La génération intermédiaire constitue une couche sociale relativement mince et les autres sont des jeunes gens qui reçoivent une éducation spéciale. Ils n’ont pas besoin d’arguments, les déclarations populistes de Saakachvili, maître en la matière, suffisent », déclare Taras Gagnidze. « Grâce à cette disposition, 100-200 000 fonctionnaires et hommes d’affaires, réellement intéressés par la présidence de Saakachvili, réussissent à imposer leur volonté aux autres », fait-t-il remarquer.
La situation économique et politique en Géorgie est assez controversée mais certains détails attirent l’attention sur les critiques émises à l’égard des autorités géorgiennes. Par exemple, Saakachvili a récemment fait un curieux lapsus. S’adressant aux fonctionnaires du ministère des Finances, il a déclaré « nous ne sommes pas des nègres », où certains commentateurs géorgiens ont perçu du racisme. Ce n’est qu’un lapsus mais dans la seconde partie de son discours il a, une fois de plus, appelé le peuple géorgien à se préparer à faire face à une agression russe. Une telle rhétorique agressive ne correspond pas vraiment à l’image d’un libéral et d’un gestionnaire.
De toute évidence, tout cela commence à effrayer les Européens. Quoi qu’il en soit, Stephan Füle, commissaire européen pour l’Elargissement et la politique européenne de voisinage, a récemment déclaré que les idées ultralibérales des autorités géorgiennes ne correspondaient pas tout à fait aux principes du libre-échange de l’UE. D’un autre coté, le président géorgien pourrait construire un libéralisme américain, et pas européen. Dans ce cas, les écoutes téléphoniques par les services secrets, les guerres impopulaires et les « bulles financières » sont l’avenir des Géorgiens libres.