Examiné à partir d’aujourd’hui [1er avril, NDLR] en commission à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur le renseignement, censé être une arme antiterroriste, confère à l’exécutif des pouvoirs de surveillance exorbitants, sans contrôle judiciaire. Décryptage.
Un Patriot Act à la française ? Sous couvert de lutter contre le terrorisme, le projet de loi sur le renseignement, présenté à partir d’aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, et examiné en séance le 13 avril, risque d’entraîner la France dans une véritable dérive sécuritaire. C’est en tout cas la crainte de multiples associations et syndicats qui dénoncent depuis plusieurs semaines ce texte, initié dans la foulée des attentats de Paris et pour lequel le gouvernement a décrété la procédure d’urgence, gage d’un examen à grande vitesse et d’un débat public sacrifi é. Une précipitation coupable, tant les mesures imaginées par le député PS Jean- Jacques Urvoas, rapporteur du projet, marquent un véritable tournant dans le droit français. Il off re l’impunité aux agents du renseignement, légalise la surveillance de masse, ou encore confère au premier ministre un pouvoir de contrôle exorbitant.
Le champ d’action de cette loi, tout comme la nature des outils intrusifs désormais autorisés nécessiteraient une large consultation de la société civile. Le ministre de l’Intérieur, lui-même, en avait, semble-t-il, conscience en septembre dernier lorsqu’il s’était fermement opposé à la légalisation des nombreuses technologies que le gouvernement veut, pourtant, mettre désormais en place…
1. Des outils intrusifs qui menacent les libertés
En légalisant la surveillance de masse en France, ce projet de loi met à mal plusieurs droits fondamentaux. Ne serait-ce, s’il fallait en citer qu’un, que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme :
« Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance… »
Or, ce texte prévoit de doter les services de renseignements de dispositifs techniques très intrusifs. Ils pourront scruter et analyser en temps réel le trafic Internet en plaçant des « boîtes noires » directement chez les fournisseurs d’accès (FAI), sonoriser des espaces privés, voitures ou domiciles, capter des images, géolocaliser des objets ou véhicules, pirater des ordinateurs ou téléphones portables…
Jusqu’ici, filant sa métaphore, le renseignement français expliquait qu’il pêchait au harpon tandis que la NSA (l’agence de renseignement américaine), elle, pêchait à large filet. Avec cette loi, la technique du harponnage est bel et bien révolue. Preuve en est, les agents pourront utiliser des IMSI catchers, sortes d’antennes téléphoniques qui permettent d’« aspirer » autour d’elles l’intégralité du trafic mobile (conversations, SMS, trafic Internet…) comme de suivre les mouvements des propriétaires de ces téléphones. En septembre dernier, un projet de loi entendait autoriser l’administration pénitentiaire à utiliser des IMSI catchers pour surveiller les conversations de certains détenus. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’y était… opposé.
« Il ne faudrait pas que les technologies prévues pour intercepter les communications d’individus que l’on a intérêt à surveiller permettent, du même coup, d’écouter d’autres personnes qui ne devraient pas l’être. »
Belle intention aujourd’hui oubliée. Ce projet de loi balaye toute protection du citoyen contre les abus de la puissance publique, son droit à la vie privée, l’inviolabilité du domicile, le secret des correspondances… « Dans le droit français, on peut priver quelqu’un de certains de ses droits, comme de son droit à la liberté, si on le met en prison. Mais cela se fait sous l’autorité indépendante d’un juge, en cas d’infraction pénale, et on a droit à un recours. Là, on n’est même pas en cas d’infraction pénale, on devrait prendre encore plus de précaution… », estime Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM).