Je vais revenir dans le présent article sur le parcours de l’homme qui fut présenté comme le « héros de l’Hyper Cacher » début janvier 2015 : un Malien sans papiers de 25 ans, à peu près analphabète, du nom de Lassana Bathily. Comme je me trouve en train de compiler toutes les attaques en France attribuables à et/ou revendiquées par l’EI depuis 2014, je suis fatalement tombé sur le morceau de bravoure de Lassana Bathily dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, le musulman qui a sauvé des vies juives. Il s’avère finalement qu’il s’agit pour sa partie la plus essentielle d’une histoire qui a été promue, déformée, et amplifiée pour les besoins d’un certain storytelling que médias et politiques, et les organisations communautaires juives qui les influencent, souhaitaient diffuser dans l’opinion mondiale, alors que l’émotion était à son comble.
Cette histoire n’est pas seulement immorale, elle est emblématique de cette société du spectacle où les fausses gloires sont couvertes de toutes les louanges et tous les honneurs, jusqu’à la nausée, et dont les gens honnêtes et véritablement courageux sont méthodiquement exclus, tenus à distance, voire diffamés et poursuivis. Lassana Bathily n’a pas seulement accédé au statut de héros national grâce à cette fable, il a pu acquérir la nationalité française en un temps record, obtenir un emploi à la mairie de Paris, être invité à l’étranger par de prestigieuses associations et organismes – juifs pour l’essentiel –, être reçu plus généralement par des grands de ce monde, fonder une association à son nom, écrire et publier son autobiographie chez un grand éditeur, et finalement entrer en politique en février 2019, pour les élections européennes.
Mais revenons pour commencer à ce conte de fées tel qu’il a été unanimement présenté dans les médias dans les jours suivants l’attaque de l’Hyper Cacher, et par l’intéressé dans son livre un an plus tard, les deux versions se recoupant peu ou prou.
Retour sur l’attaque de l’Hyper Cacher du 9 janvier 2015
Le 9 janvier, un peu avant 13 heures, Amedy Coulibaly pénètre lourdement armé dans le magasin du groupe Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, est de Paris, à deux pas du boulevard périphérique. Il abat deux personnes, et en retient quatorze autres en otage. Ceux-ci se ruent d’abord vers l’issue de secours au fond du magasin, mais celle-ci s’avère impossible à ouvrir, et ils descendent au sous-sol par un escalier en colimaçon. Au sous-sol ils trouvent un manutentionnaire de la supérette, Lassana Bathily, qui était en train de ranger des produits surgelés. Il leur propose d’abord de s’enfuir par le monte-charges qui donne non loin de l’issue de secours, mais ceux-ci refusent arguant de leur échec précédent et du bruit très fort du moteur du monte-charge qui les découvrirait immanquablement. Il parvient à en convaincre certains de se réfugier dans le congélateur, dont il a le sang froid de couper le moteur pour éviter qu’ils ne gèlent. Il prend quant à lui le risque du monte-charge. Parvenu à l’étage, d’un côté le magasin par où il peut être repéré, de l’autre la sortie de secours à deux mètres de là. La porte est bloquée par une barrette de sécurité en métal pour dissuader les voleurs. Il parvient à la faire sauter, la faisant retomber bruyamment sur le sol en béton, alertant Coulibaly qui se précipite dans sa direction, mais Bathily parvient à s’enfuir. Les autres otages qui ne sont pas entrés dans le congélateur sont contraints sous la menace de Coulibaly de remonter. L’un d’eux sera abattu quelques instants plus tard par Coulibaly en tentant de s’emparer de l’une de ses kalachnikovs. La caissière Zarie Siboni a le cran de lui mentir en prétendant qu’il ne reste plus aucun otage au sous-sol.
Parvenu à l’extérieur, il est vivement hélé par des forces de police qui le mettent en joue, le neutralisent et le menottent, le soupçonnant d’abord d’être un terroriste. Il lui faudra attendre près d’une heure pour faire valoir son identité, reconnu formellement par une personne habituée des lieux. Il se montre alors pour les policiers d’un précieux secours : bon dessinateur, il les aide à établir le plan du magasin, et, très à propos, leur indique que l’ensemble des clés du magasin se trouve sur un trousseau autour du cou de son patron blessé à la main qui se trouve non loin. Comme le trousseau en comporte beaucoup, il leur indique précisément celles qui leur seront utiles, en particulier la clé du rideau de fer défendant l’entrée du magasin.
Le RAID et la BRI lancent l’assaut à 17h20, Coulibaly est tué alors qu’il se précipite au dehors, apparemment sans aucune des armes dont il s’était muni pour l’attaque – 3 kalachnikovs, deux pistolets mitrailleurs, 15 bâtons de dynamite. Tous les otages libérés sont saufs, notamment les sept personnes enfermées dans le congélateur qui étaient restées en contact permanent avec l’extérieur grâce à leurs téléphones portables.
Lassana Bathily, modeste manutentionnaire de 25 ans, arrivé à l’âge de 16 ans en France, de confession musulmane, s’exprimant dans un français des plus incertains, détenteur d’un titre de séjour renouvelable mais courant depuis cinq ans derrière un passeport français, se trouve alors pris dans un maelström politico-médiatique inattendu et stupéfiant. Tel Cendrillon, le voilà soudain, d’un coup de baguette magique, passer de l’ombre à la lumière, de la précarité à l’aisance, de l’indifférence à l’adulation : sans le savoir il vient de gagner le premier prix d’une loterie improvisée dont il n’a pas acheté le billet.
Naissance d’un mythe moderne
Le CRAN lance une pétition (Conseil Représentatif des Associations Noires) demandant la naturalisation de Lassana Bathily et que lui soit remise la Légion d’honneur ; celle-ci atteint rapidement les 300 000 signatures.
Le jeudi 15 janvier, il reçoit un coup de téléphone personnel du président de la République, François Hollande, qui lui annonce que sa procédure de naturalisation est en train d’être accélérée.
Le 20 janvier, le précieux sésame lui est délivré à l’occasion d’une impressionnante cérémonie organisée à 19h30 dans la salle des fêtes du Ministère de l’Intérieur. C’est le Premier ministre en personne, Manuel Valls, qui le lui remet, en même temps qu’une lettre signée du président de la République, et la Légion d’honneur. Sont également présents le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, la garde des Sceaux Christiane Taubira, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud Belkacem, les représentants principaux des grandes religions. Alors qu’il tentait en vain depuis 2011 d’obtenir la nationalité française, ne parvenant qu’à obtenir un permis de séjour renouvelable d’année en année, le voilà soudain en à peine une semaine propulsé citoyen français par la voie expresse et par la plus grande porte.
Les messages de félicitation pleuvent du monde entier et cela va durer des mois. Dans son livre, Bathily raconte avoir reçu les premiers temps près de 300 appels par jour, du monde entier. Une attachée de presse lui est même adjointe pour l’assister dans la gestion des multiples sollicitations dont il fait l’objet.
Le 10 janvier, il est publiquement remercié par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de la cérémonie organisée à la Grande synagogue de Paris.
Lors d’un voyage officiel à Paris le 16 janvier, le vice-président des États-Unis John Kerry tient à le rencontrer et fait son éloge dans un discours prononcé à la mairie de Paris, auquel assiste Bathily, invité par madame le maire.
Le président Barack Obama lui rend également hommage :
« Le monde sait que des juifs ont été attaqués dans un supermarché casher à Paris. Nous devons nous souvenir de l’employé de ce supermarché, un musulman, qui a caché des clients juifs et leur a sauvé la vie. Et quand on lui a demandé pourquoi il avait fait cela, il a répondu : “Nous sommes frères”. Nous venons de pays différents, de différentes cultures et de différentes religions, mais il est important de nous inspirer des actes héroïques de ce modeste employé. »
Le 25 janvier, il est accueilli à l’Élysée, et François Hollande a ces mots : « Ah ! Voilà mon Français préféré ! »
Le 29 janvier, c’est en héros national qu’il est accueilli sur sa terre natale, le Mali, les autorités lui réservant un accueil officiel. Accueilli par le secrétaire général du haut conseil des Maliens de l’extérieur, Cheickna Kamissoko, il est ensuite reçu par la président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. On lui sait en particulier gré d’avoir « relevé le drapeau malien qu’Amedy Coulibaly avait jeté à terre ». Coïncidence, il se trouve en effet que Bathily et Coulibaly sont tous les deux Maliens, qu’ils sont de la même ethnie Soninké, et que les villages dont ils sont originaires ne sont distants que de 20 km l’un de l’autre. Le milieu dans lequel ils ont pris forme de 0 à 16 ans n’est pas le même.
Le 25 février, il reçoit un prix du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) lors de son dîner annuel, auquel participent 700 invités parmi lesquels François Hollande, Manuel Valls et une douzaine de ministres. Son président Roger Cukierman le présente sur Europe 1 comme « le jeune Malien devenu Français qui a été héroïque pendant la prise d’otages à la porte de Vincennes et qui montre encore une fois que, tous unis, on peut combattre le terrorisme ». Est récompensé également en cette occasion un film qui a par ailleurs fait un bide retentissant : 24 jours, d’Alexandre Arcady, consacré à l’affaire Halimi.
Le 3 mars, il est invité par des membres de la communauté juive de Cleveland en tant qu’orateur d’honneur pour la réunion annuelle de l’Ansche Chesed Fairmount Temple, dont la raison d’être est « de perpétuer la tradition juive et renforcer les vies juives grâce à l’apprentissage tout au long de la vie, le culte l’action sociale, des actes de bonté » Le rabbin Robert Nosanchuk le félicite en ces termes :
« Si M. Bathily n’avait pas accompli cet acte héroïque de cacher des Juifs, plus de vies auraient été emportées. Il a fait comprendre au monde que la haine ne l’emporterait pas. »
Au nom de la communauté juive de Cleveland, Cheryl Davis lui a remis une médaille en disant :
« M. Bathily a démontré comment, sans faire cas de la religion, de la race, et de l’origine ethnique, on peut agir en vue de la paix, comme une reflet de notre humanité partagée. »
À Cleveland il est également reçu par le conseil des associations américano-musulmanes qui lui remettent le « prix de l’honneur et du courage ».
Le 24 mars, le Centre Simon-Wiesenthal, dont la mission est de préserver la mémoire de l’Holocauste et de lutter contre le racisme, l’invite pour son congrès annuel à Los Angeles, et lui remet en cette occasion la médaille du courage. Il explique qu’il compte « créer une association pour son village au Mali », et « un autre projet en France pour aider les enfants d’immigrés ».
Le 9 juin, il fait partie des trois personnes à qui est décernée la médaille du courage moral lors du forum annuel global de l’American Jewish Committe (AJCii) à Washington. Il y déclare notamment :
« Le meilleur que nous pouvons apporter à la barbarie et au terrorisme, c’est l’éducation pour tous, la construction de la paix, la promotion des droits de l’homme, et l’esprit de la liberté, la fraternité, et l’égalité. »
Les organisateurs quant à eux lui expliquent :
« Les rabbins enseignent que celui qui sauve une simple vie, c’est comme s’il avait sauvé tout un monde, car chaque génération contient en son sein le potentiel d’engendrer d’innombrables générations. Lassana, vous avez sauvé quinze mondes, ce jour-là à Paris. En agissant ainsi, vous avez fait ce monde, notre monde, plus brillant, plus porteur d’espoir, un monde plus humain. »
L’initiative de son invitation et de sa mise à l’honneur vient notamment de Michel Emsalem, le fondateur et actionnaire unique du groupe Hyper Cacher qui avait vendu ses parts de la société le 8 janvier, la veille de l’attentat.
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