Les électeurs ukrainiens ont infligé un camouflet au président sortant Petro Porochenko, désavouant cinq ans d’effondrement économique et de guerre dans l’est du pays. Pour autant, Volodymyr Zelensky hérite d’une situation très difficile.
Après cinq ans de descente aux enfers, les électeurs ukrainiens ont décidé ce 21 avril de renverser la table. Selon les sondages à la sortie des urnes, le comédien et humoriste Volodymyr Zelensky, novice en politique de surcroît, devrait succéder à Petro Porochenko.
Deux jours plus tôt, lors d’un débat mouvementé organisé dans le stade Olimpiïski de Kiev, le comédien de 41 ans, attaché à la langue russe autant qu’à l’ukrainien, avait martelé sa volonté de tourner la page pour l’Ukraine, ruinée économiquement et enlisée dans une quasi-guerre civile dans l’est du pays. « Je suis convaincu que nous pourrons casser ce système, avec des gens corrects, avec une autre mentalité, avec une mentalité du 21e siècle », avait assuré Volodymyr Zelensky. Et d’ajouter, à l’intention de son adversaire Petro Porochenko, président sortant : « Le problème, ce n’est même pas que vous ayez des corrompus dans votre entourage […] mais que vous nous ayez volé cinq ans ».
Fermeté face à la Russie
De son côté, fidèle à sa rhétorique et à sa stratégie de campagne antirusse, Petro Porochenko avait renvoyé Volodymyr Zelensky à son inexpérience. « Un acteur sans expérience ne peut pas faire la guerre avec l’agresseur russe », avait-il répliqué.
De fait, l’élection de Volodymyr Zelensky traduit sans doute une volonté des Ukrainiens de sortir le pays de l’ornière de la révolution pro-Union européenne du Maïdan. Comparées au discours anxiogène et va-t-en-guerre de Petro Porochenko, ne promettant en définitive que du sang et des larmes, les prises de position plus consensuelles du prochain président de l’Ukraine ont fait mouche chez les électeurs.
Si Volodymyr Zelensky doit surtout sa victoire de ce 21 avril à sa notoriété acquise à la télévision ukrainienne et sur les réseaux sociaux, lors de ses rares déclarations de politique étrangère, il s’est notamment dit confiant dans la recherche d’une solution pacifique, diplomatique avant tout, au conflit dans le Donbass, où les républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk tiennent toujours tête à l’armée régulière de Kiev.
Vers l’indépendance de l’Ukraine vis à vis de l’Occident ?
Faisant preuve de pragmatisme, Volodymyr Zelensky a semblé au cours de la campagne présidentielle vouloir également dépassionner la question de la Crimée, rattachée à la Fédération de Russie en mars 2018, sans pour autant renoncer à la fermeté, coupant ainsi l’herbe sous le pied du belliqueux Petro Porochenko. « La Crimée nous reviendra, nous devons le comprendre, quand il y aura un changement de pouvoir en Russie, je n’ai pas d’autre issue à proposer », avait-il ainsi déclaré le 23 mars dernier, ajoutant dans la foulée que le changement de pouvoir en Ukraine qu’il incarnerait pourrait devenir un exemple pour la Russie.
Pour autant, si, dans les mots, le président élu a su réaffirmer la souveraineté de l’Ukraine face à la Russie, il devra surtout marquer l’indépendance de son pays à l’égard des Occidentaux qui, depuis le coup d’État du Maïdan de février 2014, se sont attribué un droit de regard exorbitant sur les affaires intérieures ukrainiennes. Et c’est là que les choses pourraient se compliquer pour le nouveau président : touchée en son cœur industriel et agricole du Donbass, l’économie du pays s’est effondrée. L’Ukraine est désormais sous perfusion du Fonds monétaire international (FMI), puissant levier des Occidentaux sur les pays qui y font appel.
Signe que cette relation de dépendance avec l’Union européenne et les États-Unis pourrait compromettre un exercice du pouvoir véritablement souverain de Volodymyr Zelensky, celui-ci s’est rendu en plein entre-deux-tours de la présidentielle ukrainienne, tout comme son adversaire Petro Porochenko, à Berlin et Paris. Si presque rien n’a filtré de ces entrevues, qui visaient peut-être à s’assurer du soutien de deux des quatre pays (avec la Russie et l’Ukraine, dans le format Normandie) garants des accords de Minsk II, reste le symbole : deux candidats allant chercher conseil à l’étranger.
L’humoriste, désormais confronté à la situation on ne peut plus sérieuse de son pays, doit sa notoriété à une série télévisée diffusée en Ukraine, Serviteur du peuple où il campe un président ukrainien. Il reste à Volodymyr Zelensky à passer de la fiction à la réalité.
L’avis toujours éclairant de BHL sur Zelensky :
Ainsi, #Zelenskiy est élu. Ainsi l’#Ukraine sera le seul pays au monde, à part #Israël, à avoir un Président et un PM Juifs. Quel étrange retournement de l’Histoire ! Ici, le récit de ma rencontre avec lui. Ici le compte-rendu d’un des très rares entretiens qu’il ait accordés. pic.twitter.com/14jKcos9rS
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) 21 avril 2019
Oui, un président juif, Zelensky, au pays de la Shoah par balles, quel retournement de l’Histoire ! Ici le compte rendu d’un des très rares entretiens qu’il ait accordés. Honneur à #Poroshenko. Mais félicitations (inquiètes...) à #Zelensky. https://t.co/bt2CE8zMAC #ukraine pic.twitter.com/bJtlUxkmBB
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) 21 avril 2019