Que se passe-t-il en ce moment au Maroc ? Le printemps arabe, qui n’a pas fini de secouer le monde, et qui se propage comme une traînée de poudre, a été la raison principale derrière la création du mouvement du 20 février, qui à son tour organisa les fameuses manifestations auxquelles des dizaines de milliers (120 000 lors de la première), puis des milliers de marocains ont participé (notamment lors des manifestations du 20 février, du 20 mars, des 20 et 24 avril… d’ailleurs, d’autres sont prévues). Le pouvoir, craignant une contagion des révolutions arabes, se voit obligé de réagir. Le 9 mars 2011, le Roi Mohammed VI donne un discours télévisé où « une réforme spectaculaire et historique de la Constitution est annoncée ». De belles formules du type « L’État de droit », « l’indépendance de la justice » et un »gouvernement élu émanant de la volonté populaire exprimée par les urnes » sont utilisées. La Constitution Monarchique laissera désormais place à une Constitution Parlementaire. Mais est-ce vraiment une réforme, une vraie, ou juste un pansement qui vise à couvrir la plaie au lieu de la guérir, un énième stratagème du pouvoir pour apaiser les masses, et plus important, pour gagner du temps ?
Je vous laisserai répondre à cette question une fois que vous aurez pris ces quelques informations en compte : Le Roi et son entourage prennent une place importante dans tous les secteurs au Maroc. Que ce soit la politique, l’économie, la finance, la culture ou le sport, leur présence ne passe pas inaperçue.
Une grande partie de la fortune du Roi Mohammed VI (ainsi que de son entourage) émane du holding royal. L’ONA (Omnium Nord Africain, premier groupe industriel et financier privé marocain, qui fait partie de ce holding) possède des entreprises dans l’agroalimentaire, les mines, les banques, les télécommunications, l’énergie, les produits maritimes, l’immobilier, les assurances, la distribution… Forbes magazine classe le Roi du Maroc comme 7ième fortune royale au monde (devançant ainsi le Prince Albert de Monaco, la Reine Élisabeth, et même les Émirs du Qatar et du Koweït).
Selon l’article 19 de la Constitution, le monarque est « le commandeur des croyants » et, selon l’article 23, sa personne est »sacrée ». L’article 29 lui donne le droit de gouverner en produisant des dahirs, décrets royaux faisant loi et non susceptibles de recours. En gros, au nom de l’Islam, religion d’État au Maroc, le Roi fait ce qu’il veut.
Maintenant que vous vous êtes fait votre idée sur le sujet, parlons de l’événement qui nous pousse à écrire cet article. Le Jeudi 28 Avril, 11h35, l’explosion du Café Argana, place Jamaâ-l-fna à Marrakech, a fait 16 morts (au moment où nous écrivons ces lignes) – dont huit français, deux canadiens, deux marocains, un anglais, un néerlandais, un suisse et un portugais – et environ 26 blessés (dont 7 sont de nationalité française). Au début, la police écarte rapidement la théorie d’un éventuel accident, pour favoriser celle de l’attentat suicide. Quelques heures plus tard, le ministre de l’intérieur, Taeb Cherkaoui, affirme qu’il n y avait pas de kamikaze, mais qu’une bombe télécommandée a été utilisée. D’après lui, « La manière dont cet acte a été exécuté nous rappelle le style utilisé d’habitude par l’organisation Al-Qaïda ». C’est certes une théorie fort probable, la plus plausible à notre avis. Nous le réaffirmons (car ce qui suit en examine une autre), cette théorie reste, jusqu’à preuve du contraire, de loin la plus plausible.
Oui, Al-Qaïda existe. Il faut arrêter le délire. Les Salafistes Jihadistes ne sont pas les innocentes victimes de régimes totalitaires musulmans. Osama Ben Laden n’est pas un produit de l’imagination de la C.I.A, il est bien réel, et peut-être même encore dangereux. Le terrorisme lui aussi est bien réel, et tomber dans le piège dans lequel toute une génération de téléspectateurs d’Al-Jazeera est tombé n’est pas une chose que nous nous permettrions de faire. (car selon les fins érudits d’Al-Jazeera, le mot « terrorisme » n’existe pas. Ils préfèrent employer la formule bien plus éclairée et impartiale de « ce qui est appelé terrorisme »(! !!)).
Mais nous ne pouvons pas nous empêcher de nous dire que cet attentat tombe curieusement à pic. Explications : Le Maroc a connu son lot d’attentats terroristes. Les plus récents furent ceux de Casablanca, en 2003 et en 2007. Après les Attentats de 2003, une nouvelle législation antiterroriste fut introduite, élargissant le pouvoir et le champ d’action des sécuritaires. Plus de 5000 arrestations furent effectuées, sans compter les multiples cas de torture et de disparitions forcées, dont une partie n’a toujours pas été tirée au clair. Une sorte d’état d’urgence fut déclaré, et un sévère durcissement sécuritaire fut opéré. Les libertés d’expression et de la presse connurent des régressions. Question : Est-ce-que cela risque de se reproduire ? Après tout, ce serait l’occasion rêvée et le prétexte idéal pour neutraliser les manifestations et les sit-in (qui mettent la pression démocratique sur le pouvoir, l’entraînant dans un cercle vicieux qui l’oblige à faire des concessions, ce qui le met dans une position de faiblesse aux yeux des manifestants, chose qui les pousse à mettre encore plus de pression qui mèneront à leur tout à plus de concessions…) et museler certaines personnes qui enchaînent les tribunes enflammées dans la presse et sur internet, ou les simples citoyens qui commencent à demander des comptes, à citer des noms de l’entourage royal, à réclamer des licenciements, des sanctions, des procès… (à côté, bien sûr, de réclamations de droits, de qualité de vie plus élevée, de plus de libertés, d’éradication de la corruption, de séparation des pouvoirs…).
Nous ne pensons pas que le pouvoir soit assez stupide et étourdi pour jouer avec le feu. Marrakech n’est pas prête de se rétablir de l’attentat terroriste d’Argana. Car malheureusement, c’est un coup presque fatal pour les Marrakechis dont une grande partie travaillent dans le secteur touristique. De plus, laisser un événement aussi tragique se reproduire pousserait n’importe qui à se poser des questions sur l’efficacité des autorités marocaines, dont les membres commenceraient à passer au mieux pour des incompétents, au pire pour des guignols. Pas très bon pour leur image. Mais alors provoquer ce genre d’attentat serait vraiment d’une bêtise inégalée (je ne parle même pas du côté immonde d’un acte pareil si l’État en est à l’origine). De plus, si une telle chose se savait, les répercussions seraient catastrophiques pour la monarchie. Non, franchement, la théorie du complot à la sauce État est ridicule. Voilà. Mais alors qui serait assez stupide pour tenter le diable de la sorte ? Le Ministre de l’intérieur a beau parlé de l’implication d’Al-Qaïda, nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que les bombes télécommandées ne sont pas leur Modus Operandi traditionnel. Rappelez-vous, ces gens croient au « sacrifice au nom de Dieu ». Mourir « pour la guerre sainte » fait partie du processus. Serions-nous alors devant une évolution de leurs méthodes, ou tout simplement devant un acte qui a été perpétré par un (ou des) professionnel(s), une personne qui saurait utiliser le genre de matériel avec lequel on devient familier lorsqu’on a travaillé pour des services de renseignement (ou chez les militaires)… tiens, comme les bombes télécommandées. Sans doute un mercenaire engagé par des personnes qui commenceraient à se sentir menacées par ce qui se passe en ce moment au Maroc (aussi important – ou peu important soit-il, ce sujet sera traité dans un autre article) et qui voudraient que l’étau sécuritaire se referme, de peur de voir leurs intérêts encore plus menacés qu’ils ne le sont déjà ?
Nous ne pensons pas, et nous espérons sincèrement que ce n’est pas le cas. Si en effet un durcissement sécuritaire se produisait, il pourrait mettre fin à la nature pacifique des manifestations et précipiter le Maroc dans une vague de chaos comme celles qui déchirent actuellement la Syrie ou le Yémen. Les affrontements entre civils et autorités seraient alors inévitables.
L’avenir de ce pays reste difficile à prédire, tant la situation est compliquée, mouvante et incertaine, mais les prochains jours devraient répondre au moins à quelque unes de nos questions. L’enquête de l’attentat Argana n’est pas encore terminée.