Au Mali, où un coup d’Etat militaire a renversé l’actuel président, le général Amadou Toumani, les élections présidentielles fixées au 29 avril 2012 n’auront pas lieu. Ce putsch est la conséquence de la déroute infligée à l’armée malienne par les insurgés Touaregs[1] revendiquant la partition du pays.
Surprise, culbutée et en plein désarroi, l’armée malienne agite l’épouvantail Aqmi pour tenter de faire s’engager les Occidentaux à ses côtés, affirmant que les Touaregs sont les alliés des fondamentalistes musulmans. La menace que fait peser Aqmi sur la sous région est évidemment réelle. Doit-on pour autant avoir une réaction pavlovienne dès qu’elle est évoquée ? Là encore, l’ethnographie historique pourrait être d’un grand secours à nos responsables politiques. Les Touaregs ne sont en effet pas les seuls habitants de l’ouest saharien, immense région aux caractéristiques géographiques et humaines très contrastées abritant quatre grandes populations aux territoires bien identifiés :
Les Touaregs qui sont des Berbères vivent dans le Sahara central ;
Les Chaamba qui sont des Arabes se rattachant au rameau des Beni Sulaym ont pour coeur territorial l’oasis de Timimoun en Algérie ;
Les Reguibat, eux aussi Arabes et qui revendiquent une filiation idrisside, nomadisent entre la Mauritanie et le Sahara occidental ;
Les Maures dont la composante blanche est également arabe puisqu’elle se rattache aux tribus hilaliennes (de Beni Hilal), sont installés en Mauritanie.
Ces populations ont toujours été en conflit. Au moment de la poussée coloniale, et afin de régler de vieux comptes avec leurs voisins berbères, les Chaamba furent ainsi les efficaces auxiliaires des Français qui butaient alors sur le bastion touareg. Aujourd’hui, et les observateurs ne l’ont évidemment pas vu, Aqmi prospère essentiellement chez certains Arabes sahariens, pas chez les Touaregs, à quelques exceptions près liées à des clivages internes à certains sous clans.
Pour nous, Européens qui devons veiller sur notre arrière-cour saharo-sahélienne, la question est claire : pouvons-nous laisser prospérer un irrédentisme touareg s’ajoutant à des foyers régionaux de déstabilisation situés dans le nord du Nigeria avec la secte fondamentaliste Boko Haram, dans la région du Sahara nord occidental avec Aqmi et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens avec le Polisario ?
Face à cette nouvelle situation qui est, comme je l’ai amplement démontré[2], une conséquence directe de la malencontreuse intervention franco-otanienne contre la Libye, deux options sont possibles :
Soit l’intervention urgente et massive aux côtés des armées du Mali et du Niger à la fois pour maintenir la fiction de ces deux Etats, pour tenter de contenir Aqmi et pour sauvegarder nos approvisionnements en uranium. Cette solution sans imagination ne réglera pas le problème en profondeur.
Soit tout au contraire, reconnaître enfin le fait berbéro touareg et « sous-traiter » à ce peuple à la fois la lutte contre Aqmi et contre les structures mafieuses qui gangrènent la région. Or, une telle politique qui passe par une profonde redéfinition de ces deux façons d’Etats que sont le Mali et le Niger est évidemment inimaginable aux yeux des jacobins et des conformistes qui nous gouvernent.
Une troisième voie sera donc choisie, la pire de toutes, celle de ces demi-mesures qui conduisent toujours à la catastrophe.
[1] Voir à ce sujet le dossier publié dans l’Afrique Réelle du mois de mars 2012. [2] Là encore, voir les dossiers consacrés à cette question dans les précédents numéros de l’Afrique Réelle.