Le conseiller à l’international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, prône dans une note publiée au mois d’août une position ferme sur l’islamisme et l’abandon de la rhétorique antisioniste.
Le Front national serait-il sur le point d’opérer un virage « pro-israélien » ? C’est la question qui agite les milieux politiques depuis la publication ce mois d’août d’une longue note, « La France face à la question islamique », sur le blog d’Aymeric Chauprade, le conseiller officiel de Marine Le Pen pour les questions internationales. Ce géopolitologue réputé n’a rien d’un fantaisiste. Enseignant à la prestigieuse École de guerre, il a rejoint le Front national en 2013 avant de se faire élire député européen sous l’étiquette FN.
Dans un texte aux mots très pesés, Chauprade prend acte de la disparition du nationalisme arabe, s’inquiète de la montée de l’islamisme qu’il considère comme le danger principal et en tire les conséquences : il soutient sans réserve les frappes américaines contre l’État islamique en Irak et appelle le Front national à ne pas se tromper d’ennemi. « Israël n’est pas l’ennemi de la France. La France n’a aujourd’hui qu’un véritable ennemi : le fondamentalisme islamiste sunnite (…) de fait, les Européens se trouvent dans le même bain que les Israéliens », écrit Chauprade qui en déduit une autre conséquence sur le plan intérieur : « Je ne vais pas attendre que mon pays soit repeuplé par une majorité de musulmans radicalisés pour déclencher le grand soir contre le capitalisme apatride ! Je n’ai qu’une priorité, impérieuse, c’est le peuple français, et mon combat politique ne s’articule pas autour de la lutte contre le sionisme. »
Le conseiller de Marine Le Pen décoche au passage cette petite flèche : « À moins qu’il ne soit gouverné par un antisémitisme obsessionnel, un patriote français ne peut chercher à former, contre Israël, et avec l’extrême-gauche pro-palestinienne, la racaille des banlieues et les islamistes, une alliance à la fois contre nature et sans issue politique. »
"Un texte important"
Cette analyse n’a pas été publiée sur le site officiel du Front national mais sur le blog personnel d’Aymeric Chauprade. Il n’empêche, si elle venait à inspirer la doctrine du FN en matière de politique internationale, cela signifierait un changement radical de la ligne du parti de la droite nationale, notamment sur la question israélo-palestinienne. En dépit de ses thèses hostiles à l’immigration, Jean-Marie Le Pen lorsqu’il dirigeait le parti affichait volontiers sa sympathie pour la cause palestinienne et son hostilité envers Israël. « Il s’agit incontestablement d’un texte important qui constitue une rupture par rapport aux positions traditionnelles du FN sur les Juifs et sur Israël », estime le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite. « Reste à savoir comment Marine Le Pen va s’en emparer. Va-t-elle parvenir à le faire adopter par son parti ? Il sera intéressant de voir comment le prochain congrès, prévu à Lyon en octobre prochain, va en débattre et quelle sera l’attitude des antisionistes du FN. »
De l’avis de nombreux observateurs, la « note Chauprade » pourrait aussi faire bouger les lignes au sein de la communauté juive. « Cela doit obligatoirement susciter une réponse et donc une réflexion », poursuit Jean-Yves Camus. L’enjeu est de taille, car il est de notoriété publique que les instances communautaires ont toujours refusé le moindre contact avec un parti dirigé par l’homme du « détail », considéré comme l’héritier de l’antisémitisme vichyssois.
Pas de réaction du CRIF pour l’instant
Creux du mois d’août oblige, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a pour le moment choisi de ne pas réagir officiellement. Mais en privé, plusieurs responsables communautaires, s’ils se défendent de toute naïveté vis-à-vis du Front national, considèrent qu’il serait « normal d’établir des relations normales » avec lui. « Dès lors que le FN apparait aux yeux de tous comme un parti de gouvernement, c’est une évolution qui va se faire naturellement, que cela fasse plaisir ou non », confie un responsable de la communauté juive souhaitant garder l’anonymat.
« Je préfère mille fois serrer la main de Marine Le Pen que celle d’un membre du front de Gauche qui défile sur le pavé parisien avec des drapeaux du Hezbollah et du Hamas », déclarait dernièrement à un hebdomadaire le président de l’Alliance France-Israël, Me Gilles William Goldnadel. L’avocat, qui n’a jamais fait preuve de complaisance à l’égard du FN, se refuse à voir dans la note de Chauprade une simple manœuvre électorale destinée à séduire l’électorat juif. Cette analyse est partagée par le géopolitologue Frédéric Encel qui considère Aymeric Chauprade comme un chercheur rigoureux. « Il a simplement pris acte de la mort du nationalisme arabe, de la montée de l’islamisme radical et en a tiré la conclusion qu’il se trouvait du même côté qu’Israël. »