Une humanitaire témoigne de la « désagrégation » des conditions de vie après deux mois de bombardements saoudiens sur le Yémen.
Le Yémen est au bord de la rupture. Les bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite pour faire reculer les rebelles houthistes, soutenus par l’Iran, provoquent une « désagrégation de la vie quotidienne des habitants », dénonce Marie-Elisabeth Ingres, cheffe de la mission de Médecins sans frontières sur place (MSF), l’un des rares témoins de ce conflit oublié.
Ces neuf derniers mois, la Française a vécu la descente aux enfers du Yémen, le pays le plus pauvre de la péninsule Arabique et pris dans la guerre d’influence que se livrent Riyad et Téhéran : la capture de la capitale, Sanaa, en décembre dernier par les rebelles chiites, la mise sous résidence surveillée du président élu Abd Rabo Mansour Ali, sa fuite vers le port d’Aden (sud) puis son exil en Arabie saoudite et le début des bombardements contre le Yémen le 26 mars.
Depuis, les frappes n’ont pratiquement pas cessé. « Il y a eu une interruption de quelques jours à la mi-mai mais ce n’était pas suffisant pour venir en aide à la population », témoigne Marie-Elisabeth Ingres. MSF et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sont les organisations humanitaires les plus présentes sur place. « Il faut sans cesse négocier l’accès avec les différents belligérants. Mais il n’est pas question d’envoyer des équipes dans des zones soumises à des bombardements », explique-t-elle.
L’ONU a retiré la plupart de son personnel international. Les distributions, notamment de nourriture, sont assurées par des employés yéménites. Mardi, le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU a annoncé qu’il allait intensifier ses activités pour fournir une aide alimentaire à 12 millions de Yéménites d’ici à la fin de l’année, soit presque la moitié de la population.
Selon le PAM, le Yémen dépend pour son approvisionnement à 90% des importations. Or, le pays est soumis à un blocus de la part des pays du Golfe. « Officiellement, c’est un embargo sur les armes, mais toutes les cargaisons sont considérées comme suspectes », analyse Marie-Elisabeth Ingres. La coalition contrôle les airs et rares sont les avions à pouvoir se poser à Sanaa. L’aéroport de la capitale a été bombardé au début du mois de mai. La piste a pu être réparée. Le meilleur moyen d’acheminer de l’aide, en particulier vers Aden, en proie à des combats de rue, est la voie maritime depuis Djibouti. Le prix de la farine a augmenté de 43% depuis le début des frappes, selon le PAM.
Les frappes de la coalition visent surtout les villes, par exemple des dépôts de munitions ou des résidences appartenant à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, allié des houthistes. « Il y a de plus en plus de dégâts collatéraux et la grande majorité des victimes sont des civils. À Sanaa, les bombardements avaient d’abord lieu la nuit. Ils se déroulent désormais aussi la journée », relate Marie-Elisabeth Ingres.
L’humanitaire a pu aussi constater de ses propres yeux les dégâts à Sadaa, bastion des rebelles, non loin de la frontière saoudienne. Au début du mois de mai, après une attaque des rebelles contre son territoire, l’Arabie saoudite avait donné une journée aux habitants pour quitter la ville. « Des tronçons de route avec les habitations alentour étaient complètement détruits, de même que les stations-service, qui sont systématiquement visées par l’aviation de la coalition », raconte Marie-Elisabeth Ingres.
Toujours selon le PAM, le prix du fuel a été multiplié par cinq. « Il y a des kilomètres d’attente pour faire le plein et les générateurs, qui fournissent de l’électricité aux hôpitaux et font tourner les pompes à eau, ne fonctionnent qu’une ou deux heures par jour. » L’humanitaire s’interroge : « Pour l’instant, il y a une incroyable solidarité. Par exemple, des hommes d’affaires yéménites achètent à leurs frais de la farine pour que les boulangeries restent ouvertes. Mais combien de temps cela peut-il durer ? »