« Sachant qu’on va racler un peu mieux ce qu’on a découvert, et sachant qu’on va encore découvrir des petits machins, comment est-ce que va s’organiser ce truc-là, avant un déclin qui est totalement inexorable, puisque c’est des maths, que ça nous plaise ou que ça nous plaise pas ? » (Jean-Marc Jancovici)
Le pic pétrolier, c’est le moment où la production de pétrole atteint un maximum et commence à décliner. La ressource étant finie, et non infinie, si on l’exploite, eh bien l’extraction devra bien prendre fin, car arrivera fatalement le moment de l’épuisement. Logique, implacable ; comme nous le dit Jancovici : « c’est des maths ». C’est tellement évident, qu’on n’a eu de cesse de le répéter… depuis des décennies.
On considère que le premier gisement de pétrole exploité de manière moderne (exploration systématique, techniques de forage et de transport, commercialisation) date de 1859, en Pennsylvanie (États-Unis). Le pétrole était alors utilisé pour l’éclairage, en remplacement de l’huile de baleine, avant d’être lui-même concurrencé par d’autres produits, puis par l’électricité. C’est le développement du transport routier qui lui a permis de trouver un débouché miraculeux, où il a fait merveille.
Pourtant, avant même cette date reculée, la rareté et le caractère éphémère du pétrole ont été mis en avant. Une publicité de 1855 pour Kier’s Rock Oil n’y va pas par quatre chemins :
« Dépêchez-vous, avant que ce merveilleux produit du laboratoire qu’est la nature ne soit épuisé ! »
En 1919, le géologue en chef de l’US Geological Service David White prévient :
« Le pic de production [américain] sera bientôt passé, peut-être d’ici trois ans. »
En 1924, alors que le développement de la voiture à moteur à essence est en plein développement outre-Atlantique, les services de l’État fédéral confirment les prédictions d’une entreprise de services énergétiques selon laquelle le pétrole allait bientôt manquer. La présidence prend alors les choses en main : création d’une agence fédérale, allocation de quotas de production, etc....
Les choses sérieuses commencent en 1956, quand le géologue américain Marion King Hubbert (1903-1989) modélise et prédit le pic pétrolier des États-Unis pour 1970. Une prédiction de plus qui fait pchiit, mais faite au début des Trente Glorieuses, alors que la consommation explose.
La « courbe de Hubbert » acquiert une grande notoriété et ne cessera d’être sur le devant de la scène, notamment à partir des années 1970 et des inquiétudes quant à la finitude des ressources mondiales (Club de Rome). Le pic pétrolier (dont le principe est décliné pour toutes les autres ressources non renouvelables) est la perspective incontournable de toute médiatisation sur le sujet.
En 1974, Wilson Clark, auteur de Energy for Survival, annonce que « le taux de croissance de l’énergie dans le monde d’aujourd’hui ne peut pas être maintenu au-delà de quelques années ».
La même année, le biologiste, grand décliniste et spécialiste des prédictions alarmistes qui font plouf Paul Ehrlich écrit :
« Une véritable pénurie mondiale de pétrole extractible paraît certaine au tournant du siècle si la demande continue de croître comme elle l’a fait dans les années 1960. »
Un délai un peu plus long, peut-être à cause d’un penchant millénariste : n’avait-il pas prévu en 1969 la fin de l’Angleterre pour l’An 2000, de même que la disparition de la moitié des espèces vivantes sur Terre à cette date ?! Dans la série des annonces calamiteuses, il avait aussi annoncé en1970 que, dix ans plus tard, la plupart des organismes marins seraient morts et qu’il faudrait évacuer les côtes à cause de la puanteur des poissons morts…
Revenons au pétrole. En 1975, l’écologiste Amory Lovins, inventeur du concept de negaWatt (puissance électrique économisée dans le cadre d’une sobriété volontaire), écrit :
« Des experts de premier plan de l’exploration ont récemment prédit que la production mondiale de pétrole atteindra un pic vers la fin de la décennie, ou quelques années plus tard si la production ne monte pas beaucoup ; elle diminuera par la suite. »
En 1977, James Schlesinger, homme politique américain qui a été directeur de la CIA, secrétaire à la Défense, et alors secrétaire à l’Énergie, déclare :
« La production mondiale de pétrole devrait atteindre un sommet au début des années 1990. »
Peu de temps après, la même année, le président de Texaco Maurice Granville dit à peu près la même chose :
« Il est probable que 1985-1990 sera une période charnière durant laquelle une pénurie mondiale de pétrole va se développer, avec une production de pétrole limitée par les capacités physiques. »
En 1979, la CIA l’affirme :
« Le monde ne peut plus compter sur des augmentations de production de pétrole pour répondre à ses besoins énergétiques. »
Une décennie plus tard, en 1989, le géologue britannique Colin Campbell, spécialiste de la prospection du pétrole, repousse l’échéance de dix ans :
« Les pénuries semblent inévitables à la fin des années 1990, mais la connaissance d’un déficit d’approvisionnement imminent peut déclencher plus tôt une réaction des prix. »
Rebelote encore, dix ans tard. Il explique en 1998 que dans la prochaine décennie, soit les années 2000-2010, l’offre ne sera pas en mesure de répondre à la demande. Cette annonce a été faite dans un article célèbre intitulé « La fin du pétrole bon marché », publié dans la prestigieuse revue Scientific American, avec un ancien de chez Total, Jean Laherrère, à qui l’on doit ce graphique très récent :
Comme on peut le constater, le pic est encore pour dans dix ans… Parmi beaucoup d’autres, dont certains sont à l’origine des prédictions et une majorité s’en font l’écho, Jean-Marc Jancovici continue de prêcher la bonne parole en annonçant le pic pétrolier comme imminent, s’il n’est déjà dépassé.
La force de l’évidence l’emporte sur tout le reste, et la prédiction reste donc vraie. D’ailleurs, à force de l’annoncer, ce fameux pic ne peut qu’avoir lieu. De telles prédictions, comme bien d’autres dans différents domaines, ne mettent donc pas en défaut ceux qui les ont faites. Et puisque le sujet est plus d’actualité que jamais, les cassandres n’ont simplement eu raison que trop tôt. En somme, s’ils se sont trompés, c’est parce qu’ils avaient particulièrement raison.
Laissons de côté les pirouettes intellectuelles qui permettent de ne pas questionner l’échec patent de ces annonces retentissantes… Si cela fait plus de cent ans que l’on en a plus que pour dix ans avant la dégringolade, alors peut-être faut-il s’interroger un peu plus en profondeur et se départir de l’idée qu’il y a un déterminisme du stock, une simple logique mathématique ; quitter le simple constat comptable, qui ne mène qu’à des prévisions qu’on oublie rapidement pour refaire les mêmes quelques temps plus tard.
Qu’est-ce qu’une ressource, au final ? Si l’on y pense en prenant un peu de recul, et en gardant les pieds dans le réel, alors il est évident qu’il n’est pas dans la nature d’une chose d’être ou de ne pas être une ressource. La neige a longtemps été un handicap en montagne, avant de devenir l’or blanc avec l’avènement du tourisme et des sports d’hiver. On peut faire une remarque similaire avec les littoraux sableux : sans le tourisme estival, les plages n’auraient jamais constitué une ressource pour les sociétés locales. Et pour en revenir au pétrole, les hydrocarbures suintant dans les fossés du Proche-Orient n’étaient pas non plus une ressource, jusqu’à ce qu’on sache à quoi les employer. Ce sont les sociétés qui font de tel ou tel matériau une ressource, même s’ils existent indépendamment de celles-ci. L’expression « ressource naturelle » est donc un oxymore, puisque aucune n’existe en tant que telle sans lien avec un processus de production.
Le pétrole et plus globalement les hydrocarbures sont des ressources parce que l’on sait quoi en faire, comment les extraire, les acheminer et qu’un marché a été créé. Ils sont des ressources de premier plan parce que le monde moderne a très largement pris appui sur eux pour se construire. Disserter sur leur fin est d’ailleurs largement l’apanage de ceux qui veulent influer sur la trajectoire de nos sociétés modernes. Leur point de départ est la volonté de changement, et le rôle des hydrocarbures est un levier puissant ; leur discours, lui, vise à mettre en avant des spéculations sur ce puissant levier, pour aboutir « naturellement » au nécessaire changement.
La seule manière d’appréhender sans parti pris la question du pétrole, de sa disponibilité, c’est de considérer a priori qu’il existe un stock inconnu de pétrole, duquel on peut extraire un certain volume grâce à des investissements en capacité de production. Partant, les quantités exploitables sont nécessairement évolutives, puisque fonction des techniques d’exploitation disponibles et des prix de vente. C’est la raison pour laquelle doit être entretenue une tension entre l’offre et la demande, car sans rentabilité à la hauteur, pas d’exploration ni d’extraction dans des champs pétrolifères jusqu’alors délaissés. Toute hausse suffisante du prix du pétrole entraîne automatiquement une hausse des réserves. La rentabilité de l’exploitation est maintenue par une pénurie relative et nécessaire, qui doit bien plus à cette tension qu’à une diminution du stock géologique. De ce point de vue-là, le problème du pétrole réside plus dans son abondance que dans sa rareté. Ce dont on peut se persuader par la crainte des mondialistes, audible par le truchement des pleurs écologistes : les réserves sont trop importantes ! Si la fin du pétrole était devant nous à brève échéance, les scénarios du GIEC sur la courbe d’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère n’auraient strictement aucun sens et les grands-messes onusiens non plus. Sauf si les mondialistes ont une petite idée derrière la tête, ce dont on se doute un peu !
Pour conclure, laissons la parole au Cheikh Ahmed Zaki Yamani (1930-2021), qui fut ministre saoudien du Pétrole et des Ressources minérales de 1962 à 1986, ainsi que l’un des ministres de l’OPEP durant vingt-cinq ans :
« L’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres, et l’âge du pétrole ne prendra pas fin par manque de pétrole. »
Alain Soral, déjà il y a 11 ans, sur le pétrole abiotique :
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