La théorie selon laquelle la guerre en Syrie est une bataille par procuration opposant deux propositions de pipelines qui traverseraient le pays pour rallier la Turquie puis l’Europe ne tient pas debout.
Six ans après le début d’un conflit qui a tué au moins 400 000 personnes, il est largement admis que l’effusion de sang en Syrie n’est qu’une énième guerre portant sur les ressources énergétiques du Moyen-Orient.
Selon cette théorie, cette effusion de sang est une bataille par procuration opposant deux propositions de pipelines qui traverseraient le pays pour rallier la Turquie puis l’Europe.
Alors qu’aucun pipeline n’a quitté les planches à dessin, ou même qu’aucun n’a jamais été réaliste, cela n’a pas atténué la popularité de cette théorie censée expliquer la cause fondamentale du conflit syrien.
Le premier pipeline, qui serait soutenu par les États-Unis, va du Qatar à la Syrie en traversant l’Arabie saoudite et la Jordanie. Le deuxième est un pipeline prétendument soutenu par la Russie allant de l’Iran à la Syrie en passant par l’Irak.
Le président syrien Bachar al-Assad, dit-on, a rejeté le pipeline qatari en 2009 à la demande de Moscou, souhaitant s’assurer de ne pas compromettre la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe.
Par conséquent, affirment certains commentateurs, les États-Unis et leurs alliés européens et du Golfe, y compris le Qatar, ont décidé d’organiser une rébellion contre Assad afin de s’assurer que leur rêve de pipeline devienne réalité en lieu et place de l’option iranienne. La Russie a alors soutenu la Syrie afin de garantir la prédominance de ses propres intérêts énergétiques. L’Iran est également un allié du régime actuel à Damas.
Ces affirmations ont été soutenues à plusieurs reprises : le média qatari Foreign Affairs et le journal The Guardian ont repris la théorie, qui a encore gagné du terrain en 2016 dans un article de Robert Kennedy Jr. et qui a été défendue – entre autres – par Jill Stein, ancienne candidate du Parti vert à la présidence des États-Unis.
L’idée a été relancée après les bombardements américains en Syrie en avril. Il s’agissait alors, disait-on, d’une nouvelle « preuve » du désir de Washington d’évincer Assad et de permettre à l’Europe de diversifier ses importations afin de réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe.
Bien que les États-Unis coopèrent secrètement avec des alliés du Golfe contre le régime d’Assad, le contrôle des ressources énergétiques et des réseaux de pipelines en Syrie ne constituait pas une préoccupation principale.
Pourquoi ? Premièrement, la chronologie est mauvaise. Les agissements secrets contre la Syrie ont commencé sous l’administration George W. Bush, en 2005, bien avant l’offre qatarie présentée prétendument à Damas en 2009.
« Nous pouvons observer une action américaine contre le régime syrien bien avant la naissance de l’idée de ce pipeline », explique Justin Dargin, chercheur spécialiste de l’énergie à l’Université d’Oxford.
Deuxièmement, les hypothèses des pipelines ne reflètent pas la réalité de la façon dont l’énergie est transportée à travers le Moyen-Orient au XXIe siècle et les obstacles rencontrés par les propositions de pipelines, dont beaucoup ne se concrétisent pas. Même le gazoduc arabe, dont la deuxième phase a été lancée en 2005, est embourbé dans divers problèmes.
Robin Yassin-Kassab, auteur de Burning Country : Syrians in Revolution and War, explique que la théorie du Pipelineistan ignore également la façon dont le conflit a commencé et les premiers mois de la révolution.