La Serbie, officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne (UE), est sommée par Johannes Hahn, commissaire européen chargé de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement, de choisir son camp.
Soit l’entrée dans l’UE reste sa priorité, comme elle l’a déclarée, soit elle veut continuer à coopérer avec la Russie. C’est une certaine conception de la négociation. Autrement dit, en temps de guerre, la neutralité déclarée par la Serbie n’est pas de mise. Bref, l’UE reconnaît que la Russie a officiellement obtenu le statut d’ennemi.
La position de la Serbie est plus que délicate. D’autant plus que, comme le rappelle Le Parisien, les intérêts de la coopération avec la Russie revêtent un caractère vital pour le développement de l’économie de la Serbie.
« La Russie a d’importants intérêts en Serbie. Son géant gazier et pétrolier Gazprom est le propriétaire majoritaire de la compagnie pétrolière serbe NIS avec 51% des parts. De plus, Belgrade et Moscou ont mis en place à l’aéroport de Nis (sud) un “Centre régional pour les situations d’urgences” où sont stationnés des avions russes prêts à intervenir dans la région, sur demande des pays concernés. Alors que la Serbie est à court d’argent, Moscou et Belgrade ont signé en janvier 2013 un accord sur un crédit de 800 millions de dollars destinés à la reconstruction de l’infrastructure ferroviaire. Puis en avril, Moscou a octroyé à son allié un autre prêt de 500 millions de dollars, destiné l’aider à faire face à son lourd déficit budgétaire. »
L’ultimatum de l’UE, pour sa part, sonne mal. Dans uneinterview, J. Hahn déclare de manière un peu trop péremptoire :
« Dans le cadre des négociations concernant son entrée dans l’UE, la Serbie s’est engagée à mettre en accord sa position avec l’UE en ce qui concerne des questions aussi difficiles que celle des sanctions contre la Russie. C’est très important et nous espérons que Belgrade respectera ses obligations. »
La menace du commissaire européen est à peine voilée : la Serbie doit se soumettre et seule la soumission permettra de confirmer que le choix européen reste son choix. Autrement dit, elle doit faire un choix entre sont intérêt national et l’intérêt de l’UE.
Et pour faire passer le message, les médias français lancent un légère campagne de dénigrement de la Serbie. Voir par exemple le reportage, particulièrement mal fait, de France 24, que vous pouvez voir ici. Le journaliste y montre de manière absurde que, en raison de sa politique de neutralité, la Serbie est exclue des sanctions russes contre les pays européens. Elle peut donc exporter ses fruits et légumes en Russie, ce qu’elle fait par ailleurs. Mais selon le journaliste, non seulement cela ne sert à rien au pays car il ne produit pas suffisamment pour couvrir tout le marché russe (c’est un argument d’une rare stupidité), mais en plus les serbes osent faire passer en contrebande en Russie des produits européens sous étiquettes serbes. Bref, ce sont vraiment des gens infréquentables …
Plus généralement, en ce qui concerne l’évolution de l’UE, cette sortie assez maladroite du commissaire européen confirme certaines tendances :
1. L’UE est dans une phase d’affaiblissement. Comment en est-on arrivé à menacer ouvertement dans la presse un Etat souverain ? A lui faire du chantage à l’entrée dans l’UE ? Cela veut dire que l’UE n’est plus aussi attractive, que sa propagande n’est plus aussi efficace et que les négociations/pressions de couloirs ne sont plus suffisantes. Mais la réaction ne s’est pas faite attendre. Le Premier ministre serbe a rappelé que la Serbie est un Etat souverain et qu’elle décidera seule de sa position concernant la Russie.
2. L’UE se radicalise et considère la Russie comme un ennemi. Sinon, rien n’empêche un Etat souverain d’avoir des relations commerciales et politiques et avec l’UE et avec la Russie.
3. Cela montre en conséquence l’hypocrisie du discours européen disant que l’Ukraine peut collaborer avec la Russie et que seule la Russie l’en empêche.
4. L’UE n’est plus apte à intégrer des Etats souverains. Elle a besoin de « petits soldats obéissants », elle a besoin de soumission. Il n’y a plus de place pour l’intérêt national.
5. L’intérêt de l’UE s’est totalement dissocié de la somme des intérêts des pays membres. La structure UE est donc autonome des pays qui la compose. Ce qui pose de sérieuses questions en terme de gouvernance, de démocratie et de liberté.
Karine Bechet-Golovko, 20 novembre 2014
Source : Russie politics