L’État islamique (EI) présente « un danger réel » : ce fait est constaté depuis longtemps tant par la diplomatie que par les structures de l’ordre. Le 1er août, la Russie lancera un service téléphonique spécial pour les familles dont des membres ont rejoint le groupe. Les experts soulignent pour leur part que la force à elle seule sera incapable de vaincre l’EI. Russia Beyond the lines a voulu savoir comment le pays luttait contre les islamistes radicaux.
La Chambre civile de Russie (organe consultatif auprès du Kremlin chargé de défendre les intérêts de la société civile) lancera le 1er août prochain un service téléphonique spécial pour les familles dont des membres partagent l’idéologie de l’État islamique (reconnu comme organisation terroriste dans le pays) ou sont éventuellement déjà partis en Syrie sous la bannière noire des djihadistes.
Ce service téléphonique devient aujourd’hui une nécessité, affirme la Chambre. Sa mise en place a été décidée après la fuite de l’étudiante Varvara Karaoulova, a déclaré à RBTH Elena Soutormina, présidente de la commission de la Chambre pour le développement de la diplomatie publique et le soutien des russophones à l’étranger. La jeune fille a été interpellée en juin dernier à la frontière entre la Turquie et la Syrie.
Selon l’enquête, elle a été enrôlée par des islamistes radicaux. « Qui plus est, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a indiqué précédemment que l’armée de l’EI comptait 2 000 anciens et actuels citoyens de Russie, ce qui est un chiffre important », a-t-elle souligné. « Il faut faire quelque chose », a-t-elle noté, en constatant que la Russie, avec son grand nombre d’ethnies et de religions, était très attrayante pour les terroristes de l’EI.
Le nouveau service téléphonique accordera une aide psychologique et donnera des consultations sur les moyens d’éviter de tomber dans les filets des recruteurs.
Le cours est à la baisse
Il est vrai que les médias russes parlent plus souvent du danger de l’EI ces derniers mois. Les déclarations officielles sur « la présence réelle de l’EI à nos frontières » côtoient les nouvelles sur les tentatives d’enrôlement de jeunes musulmans et migrants dans les régions (ces derniers se verraient proposer un « salaire » de 800 euros par mois).
En outre, on a vu apparaître fin juin sur la Toile une vidéo affirmant que la clandestinité nord-caucasienne avait prêté serment de fidélité à l’EI. Toutefois, « il est trop tôt pour s’affoler à ce sujet », a dit le directeur de l’Institut d’orientalisme de l’Académie des sciences, Vitali Naoumkine. Dans une interview à RBTH, il a fait remarquer qu’un serment « virtuel » ne signifiait pas que « tous les groupes du Caucase du Nord seraient désormais gérés par un centre unique » et a constaté que « les forces de l’ordre russes coupaient court plus efficacement à leurs activités ».
Le nombre de victimes et d’affrontements dans le Caucase du Nord a nettement diminué, constate Varvara Pakhomenko, conseillère du Groupe international de crise et experte du Caucase. Ainsi, d’après le site kavkaz-uzel.ru, le nombre de tués et de blessés dans le Caucase du Nord a été de 1 149 en 2013, de 525 en 2015 et de 44 dans le second trimestre de l’année en cours. Cette réduction s’explique par deux faits, a-t-elle poursuivi. Premièrement, nombreux sont les terroristes et les islamistes radicaux qui sont partis pour la Syrie. Deuxièmement, de nombreux terroristes ont été tués, évincés du pays ou arrêtés à la veille des Jeux olympiques de Sotchi.
Nouveau projet de l’islam
Les experts le reconnaissent : la principale méthode de lutte contre les islamistes radicaux dans le pays, ce sont les opérations coup de poing. Or, la force à elle seule ne suffit pas, « bien qu’il soit impossible de s’en passer complètement », insiste Sergueï Markedonov, spécialiste de la Transcaucasie et du Caucase du Nord à la chaire des études des régions et de la politique étrangère de l’Université des sciences humaines de Russie. « Il semble que ces forces radicales se soient évaporées, mais trois ou quatre ans plus tard, la reproduction recommence parce que le milieu qui les forme reste toujours présent. Davantage de soft power nous est indispensable », a-t-il souligné. Il est beaucoup plus important de lutter sur le front idéologique, d’influer sur les cerveaux, a-t-il affirmé. Par conséquent, il est avant tout nécessaire de s’appuyer sur les spécialistes de l’islam, afin qu’ils proposent un projet de l’islam présentant une alternative attrayante pour les jeunes, pour leur carrière et pour leur avenir, a poursuivi Sergueï Markedonov.
Les communautés musulmanes préconisent justement le soft power. « Nous ne nous posons pas l’objectif de prendre les gens sur le fait. Notre lutte est une œuvre civilisatrice. Trouver et arrêter, c’est le travail des forces de l’ordre », a déclaré à RBTH Rouchan Abbiassov, premier vice-président du Conseil des muftis de Russie. D’habitude, les recruteurs les évitent, comprenant que leurs vues n’y sont pas admises, a-t-il expliqué. Mais personne ne parle pour l’instant d’un nouveau projet de l’islam. « Les gens commencent à distinguer eux-mêmes le noir et le blanc » et les communautés sont concentrées sur les sermons, a ajouté Rouchan Abbiassov.
« Pouvoir revenir »
Il y a quelques années, les méthodes de soft power étaient appliquées également à ceux qui avaient combattu du côté des forces radicales, a rappelé Varvara Pakhomenko. Une Commission de réinsertion des terroristes a fonctionné au Daghestan à partir de 2010 :
« Nombreux étaient ceux qui n’avaient pas eu le temps de commettre de crimes sérieux. Ils avaient fait un faux pas et on leur donnait une chance de retourner à la vie pacifique. C’est très important de pouvoir revenir, a-t-elle indiqué. Les gens se rendaient ».
Cependant, les préparatifs des Jeux olympiques ont mis fin à ce dialogue et la Commission a cessé ses activités, tandis que les méthodes de force ne rendaient les gens que plus acharnés. Résultat : le Daghestan et la Tchétchénie comptent le plus grand nombre d’hommes partis faire le jihad en Syrie. La Commission fonctionne de nouveau aujourd’hui, pour l’instant seulement en Ingouchie.
« Nous constatons la présence au sein des autorités de responsables qui réalisent la nécessité de telles mesures », a noté Varvara Pakhomenko. Mais il y a aussi des difficultés, a-t-elle ajouté. L’une d’elles est de convaincre de nouveau la population que la coopération est possible et qu’on peut se rendre sans redouter d’être trompé.