C’est une de ces décisions kafkaïennes qui font hésiter entre la rage et l’amertume. La tristesse et la colère. La Commission européenne – puisque c’est bien d’elle qu’il s’agit – a décidé d’ouvrir une enquête contre Intermarché, pour s’être accordé avec son concurrent Leclerc, l’été dernier, afin d’acheter du porc aux éleveurs français à un prix plancher de 1,40 euro. L’accord signé répondait à une revendication des éleveurs, qui ne parviennent pas à vendre leur viande au prix décent qui leur permettrait, tout simplement, de survivre. Las ! Bruxelles estime qu’il pourrait être « discriminatoire vis-à-vis des pays tiers ». Circulez.
Bien sûr, ce sursaut légaliste et procédurier de la Commission – dont on se demande si elle n’a pas mieux à faire par les temps qui courent – pourrait n’être que risible, s’il n’était porteur de conséquences aussi dramatiques. S’il n’était, aussi, symptomatique de la manière de procéder de cette Europe-là. Forte avec les faibles, faible avec les forts.
Car si les causes des difficultés des éleveurs de porc tricolores sont diverses, elles tiennent beaucoup à la concurrence intra-européenne, et particulièrement à celle des abattoirs allemands. Ces derniers, au prix d’une organisation industrielle martiale, aussi peu respectueuse du bien-être animal que de la qualité des produits, sont parvenus à pratiquer des prix défiant toute concurrence. Le pays est ainsi devenu le troisième plus gros producteur de porc du monde, avec près de 60 millions d’animaux découpés chaque année, derrière la Chine et les États-Unis. Parmi les recettes appétissantes de cet agrobusiness juteux : le recours à des salariés est-européens payés au lance-pierres, souvent à peine plus de cinq euros de l’heure ! Le tout grâce à la directive européenne sur les travailleurs détachés, que Bruxelles a mis près d’une décennie à rendre un tant soit peu plus restrictive.