« L’ordre et la morale », le film de Mathieu Kassovitz sur la prise d’otages d’Ouvéa en 1988, sort actuellement sur les écrans. Ce film repose sur un triple mensonge : une thèse mensongère, une réalisation mensongère, un faux héros.
Une thèse mensongère
Cette thèse est la suivante : de méchants militaires au service d’hommes politiques encore plus méchants, uniquement soucieux de leur élection prochaine, auraient inutilement massacré de « gentils » ravisseurs kanaks, alors qu’en écoutant le bon capitaine Legorjus, ils auraient pu obtenir la libération des otages par la négociation, sans une seule victime. C’est totalement faux. D’une part, politiques et militaires ont tenté de négocier jusqu’au bout, y compris pendant l’assaut. L’échec est venu du refus du FLNKS de s’impliquer et de l’intransigeance, voire du fanatisme, du chef des ravisseurs qui a refusé jusqu’à la fin de rendre ses otages, disant qu’il mourrait dans la grotte et les otages avec lui. D’autre part, contrairement à ce qu’il prétend aujourd’hui, le capitaine Legorjus n’a jamais eu de solution négociée en vue. Pour la bonne raison qu’après avoir quitté la grotte pour aller contacter le FLNKS, il n’y est plus revenu et n’a plus eu de contact physique avec les ravisseurs. Il était donc dans l’incapacité de négocier avec eux quoi que ce soit. _ Enfin, le temps passant, la situation des otages devenait de plus en plus critique, notamment celle du capitaine Picon sur le point d’être reconnu et menacé quotidiennement de mort. Cela rendait l’opération urgente et inéluctable.
Une réalisation mensongère
Le film est truffé de mensonges qui visent tous à renforcer la thèse des gentils ravisseurs maltraités par de méchants militaires.
Lors de l’attaque de la gendarmerie, les ravisseurs auraient tué « pris de panique ». C’est encore faux. Les ravisseurs avaient parfaitement préparé leur attaque et sont venus avec des armes à tuer, fusils de chasse et carabines à lunette. Ils ont tué deux gendarmes complètement désarmés alors que leurs camarades étaient déjà neutralisés, allongés au sol face contre terre. Cela ne relève pas de la panique !
Le film met beaucoup en scène les gentils ravisseurs et les méchants militaires mais oblitère complètement les malheureux otages qui n’apparaissent que cinq minutes sur les cent trente six que dure celui-ci. C’est un mensonge par omission. Pourquoi ? Parce que la vue des six otages du GIGN, enchaînés deux par deux au fond d’une grotte obscure et quotidiennement menacés de mort, aurait sérieusement terni l’auréole des gentils ravisseurs.
L’opposition constante bons gendarmes contre méchants militaires est encore un mensonge. Elle prouve que M. Kassovitz méconnaît le contexte local, car les Kanaks avaient exactement l’opinion inverse. Ils appréciaient les militaires qui leur apportaient une aide sanitaire et logistique lors des « tournées de présence » et redoutaient les gendarmes qu’ils voyaient essentiellement lors des opérations judiciaires ou de maintien de l’ordre. D’ailleurs cette « opposition » n’a pas du tout existé sur le terrain, y compris entre le capitaine Legorjus et moi-même. C’est seulement après être rentré en métropole et surtout après le changement de gouvernement, qu’il s’est découvert un esprit frondeur ! Sans vouloir moi-même contribuer à la polémique, j’ajoute que les rares bavures avérées ont été le fait de gendarmes.
Enfin le film se référant à l’enquête de la Ligue des Droits de l’Homme, dénonce des interrogatoires musclés et des exécutions sommaires (« au moins cinq » !). La seule enquête officielle et sérieuse, l’enquête de commandement prescrite par le ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, conclut à des sévices sur le blessé Alphonse Dianou qui auraient pu entraîner sa mort. Ce n’est pas la même chose ! Mais comme le dit lui-même Mathieu Kassovitz, se référant à Goebbels, « plus le mensonge est gros, plus il passe ».
Les ravisseurs et leurs avocats avaient évidemment intérêt à « diaboliser » l’armée française pour obtenir l’amnistie. Le FLNKS avait d’ailleurs fait de cette amnistie une condition sine qua non de la signature des accords de Matignon. En revanche l’armée française n’a jamais demandé l’amnistie. Les familles des quatre gendarmes assassinés ont même déposé deux recours en Conseil d’Etat et à la Cour européenne des droits de l’homme contre cette amnistie. En vain.
Un faux héros
Le capitaine Legorjus n’est pas le héros que dépeint le film, c’est même un anti-héros.
Il s’est d’abord maladroitement fait prendre en otage, entraînant la reddition volontaire de six de ses hommes dont le capitaine Picon, auteur présumé du tir contre Eloi Machoro trois ans auparavant. La capture de cet officier a complètement « plombé » la prise d’otages en raison du risque mortel qui pesait sur lui.
Lors de l’assaut, il s’est conduit en pleutre, ce que ne lui ont pas pardonné ses hommes. D’autant que l’opération finie, il a repris toute sa superbe, disant qu’il avait tout fait, tout commandé sans même rendre hommage au lieutenant Thimothée et au chef Lefèvre qui avaient commandé le GIGN à sa place. De retour à Paris, il déclarait que l’opération était inévitable, qu’elle avait été exemplaire et que, si c’était à refaire, il la recommencerait. Ce qui était pour le moins présomptueux puisqu’il n’avait rien fait, planqué dans une anfractuosité de rocher !
Mais huit jours plus tard, le gouvernement ayant changé de couleur et des réserves apparaissant sur la fin de l’assaut, il faisait aussitôt volte-face :
- d’indispensable, l’opération devenait inutile ;
- d’exemplaire, elle devenait exagérément meurtrière ;
- quant aux bavures, de mensonge pur et simple, elles devenaient quasi- certaines.
Voilà le héros qu’a malheureusement choisi Mathieu Kassovitz, un mégalomane pleutre et menteur. Alors que cette prise d’otages avait vu d’authentiques héros, en particulier le magistrat Bianconi et tous ceux qui étaient courageusement montés à l’assaut pour sauver leurs camarades otages.
Conclusion :
Grâce à la complicité de M. Legorjus, ravi d’être enfin présenté en héros, Mathieu Kassovitz peut se livrer à son sport favori, fustiger le colonialisme oppresseur, les hommes politiques profiteurs et les militaires batailleurs. Il séduira probablement quelques gogos gauchos et quelques intellectuels repentants, mais ne convaincra sûrement pas un public qui devra patienter deux heures à subir les états d’âme du capitaine Legorjus avant d’avoir enfin droit à quelques scènes d’action filmées à l’épaule. Les critiques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. J’espère que cette imposture obtiendra le succès qu’elle mérite malgré le matraquage médiatique que nous subissons depuis deux semaines !
Général (2S) Jacques Vidal