L’inspection du travail pourra-t-elle, un jour, mener des contrôles à La Poste dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail ? En tant que société anonyme (SA) depuis le 1er mars, La Poste relève de sa compétence, tout comme EDF ou France Télécom.
Mais un projet de décret, applicable pour les 146 000 fonctionnaires et les 115 000 salariés contractuels, prévoit de différer au 1er janvier 2012 les interventions des inspecteurs du travail. Dans une note du 27 juillet, la direction générale du travail (DGT), autorité centrale de l’inspection, indique que "dans la mesure où ce décret (...) n’est pas encore publié et qu’il implique un certain nombre de modifications pour l’entreprise, il est rappelé qu’il convient de continuer à différer les interventions de l’inspection du travail (...) jusqu’au 31 décembre 2011".
"Souffrance au travail et suicides à La Poste : l’inspection du travail sommée d’aller voir ailleurs si on y meurt...", ironisait le syndicat SUD-PTT dans un communiqué du 6 août.
Pour l’heure, La Poste continue donc à s’appuyer sur sa dizaine d’inspecteurs de la santé et de la sécurité. Rattachés au président du conseil d’administration, ils n’ont pas de pouvoir de sanction, contrairement aux inspecteurs du travail. Ces derniers peuvent toutefois déjà intervenir mais dans un champ limité aux salariés contractuels de droit privé et seulement sur des questions liées au contrat de travail et aux heures supplémentaires.
Ce dernier thème fait d’ailleurs l’objet d’un bras de fer entre la direction et le syndicat SUD, et "les inspecteurs ont établi plusieurs procès-verbaux", témoigne Hugo Reis, secrétaire fédéral de SUD-PTT. Les inspecteurs peuvent également être "sollicités" dans des cas précis : "risque grave", "désaccord sérieux et persistant" entre la direction et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, etc. Un domaine d’action insuffisant pour SUD-PTT, qui demande le retrait de cette note "hallucinante", selon M. Reis. "La Poste est une SA, les inspecteurs doivent pouvoir venir la contrôler dès aujourd’hui", précise-t-il.
D’autant que la situation des personnels serait alarmante. Le Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste a, le 20 mai, adressé une lettre ouverte au président, Jean-Paul Bailly, décrivant "le mal-être au travail" des personnels. "La Poste crée des inaptes physiques et psychologiques", écrivait Jean-Paul Kaufmant, le président de ce syndicat qui regroupe 85 des quelque 140 médecins de prévention du groupe. La direction de l’entreprise, que nous n’avons pas pu joindre, avait alors répliqué que ce courrier était "exagéré par rapport à l’engagement de La Poste en matière de risques psychosociaux", selon l’Agence Emploi Formation. Un accord sur la santé et le bien-être au travail est actuellement soumis à la signature des syndicats.
Pour Astrid Toussaint aussi, membre du conseil national du syndicat SUD-Travail affaires sociales, qui réunit des inspecteurs, "la note de la DGT n’est pas acceptable. Le délai imposé n’a pas de motivation juridique si ce n’est l’attente de la parution des décrets. Sauf que ce décret, on l’attend depuis longtemps". Précisément, depuis la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales. Et déjà, une note du 11 mai 2006 demandait aux inspecteurs de "différer les interventions dans l’attente de dispositions du décret d’application". Les dispositions en vigueur actuellement sont donc celles d’un décret du 28 mai 1982...
Les syndicats de La Poste ne sont cependant pas tous sur la même ligne que SUD. Nadine Capdeboscq, secrétaire nationale CFDT de la fédération F3C (conseil, communication, culture), estime ainsi que "c’est d’abord aux organisations syndicales d’agir en matière de santé au travail".
En 2012, les fonctionnaires et les salariés contractuels se verront donc appliquer les règles du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail, "qui sont beaucoup plus exigeantes que ce décret de 1982", estime Mme Toussaint. Les postiers ont perdu la bataille contre la transformation de La Poste en SA. Mais ils pourraient y gagner en termes de conditions de travail.