« Bien sûr qu’elle aura lieu cette contre-offensive puisque l’Ukraine ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle »
On peut être un spécialiste de la Seconde Guerre mondiale en URSS, avoir étudié à fond la bataille de Stalingrad (juillet 1942 – février 1943) et se normaliser, pour complaire à la pensée dominante en Occident, sur le conflit en cours. L’histoire est encore trop fraîche pour en tirer des enseignements solides.
C’est le cas de l’historien Jean Lopez, qui rêve de la grande contre-offensive ukrainienne sur le modèle de l’Armée rouge en janvier 1943, qui encerclera la VIe armée allemande à Stalingrad. Une offensive double, nous apprend-il.
Invité sur RTL pour son dernier ouvrage sur le conflit actuel – c’est à la fois vendeur et dangereux d’écrire un livre sur un conflit en cours –, Jean Lopez estime que l’armée russe en février 2022 a été « mal préparée », que sa stratégie n’était « pas raisonnable », et que Poutine a été « mal informé », ou carrément « intoxiqué à force de dire que les Ukrainiens n’étaient pas une nation ». En gros, les Russes « sont tombés sur un os ».
« Ils ont fait une guerre pour laquelle ils ne s’étaient pas préparés. C’est juste le problème. On a affaire à une armée (...) qui est d’un modèle beaucoup trop petit pour entreprendre la conquête d’un pays qui est plus grand que la France, et dont la population est en armes. Vous avez un million d’Ukrainiens qui sont mobilisés aujourd’hui avec une volonté de se défendre farouche.(...) Au départ, je vous rappelle qu’il n’y avait que 120 000 militaires de l’armée de terre (russe) pour les attaquer. Ils se sont trompés. Le scénario qui a déclenché cette guerre n’est pas le bon. »
Ce serait pour cette raison que Poutine aurait lancé une deuxième mobilisation (partielle). Ce qu’oublie de dire Lopez, c’est que sans le soutien de l’OTAN, c’est-à-dire de l’argent européen et de l’armement américain (qu’il faudra rembourser un jour), l’armée ukrainienne se serait effondrée en deux mois. Et là, l’analyse du conflit Ukraine/Russie devient éminemment politique, terrain sur lequel le spécialiste ne va pas.
Interrogés plus longuement par Le Figaro, Jean Lopez et son co-auteur Michel Goya (ancien colonel des troupes de marine) commencent par expliquer que les services de renseignement occidentaux, à part les Américains, n’ont pas cru à l’invasion de février 2022. Pour Goya, « du simple point de vue du calcul coûts/bénéfices, cette guerre est absurde ». C’est peut-être le cas si l’on voit l’opération spéciale comme une guerre d’agression russe contre le voisin ukrainien, mais pas si on la considère comme une guerre défensive contre les avancées de l’OTAN depuis 30 ans et l’éclatement de l’URSS !
Après de longs développements sur la désinformation russe, le massacre de Boutcha, les exactions russes et la Cour pénale internationale (« L’Ukraine et la Russie ne sont pas signataires du traité de Rome instituant la Cour pénale internationale en 1998 »), on apprend quand même une chose lors de cette interview, pro-ukrainienne dans l’esprit : l’histoire des « drôles de recrues » par Jean Lopez.
Le recrutement de prisonniers (dans l’armée russe) n’est pas une nouveauté. Il y a là un héritage soviétique et même plus ancien. Au XIXe siècle, dans l’armée impériale russe, le choix des conscrits, dont l’immense majorité venait de la paysannerie serve, était dans les faits laissé à l’assemblée du village ou au boyard local. Comme l’engagement était à vie, ceux-ci choisissaient en priorité, moyennant corruption du recruteur, les paresseux, les ivrognes et les criminels : tout le monde y trouvait son compte. Sous Staline, durant la Grande Guerre patriotique, dans un esprit très différent, cette pratique a atteint des sommets. Pour combler des pertes colossales, on a tiré du goulag plus d’un million de prisonniers de droit commun avec promesse d’annulation de leur peine si leur conduite était exemplaire. Dans les années 1980 encore, alors qu’elle commence à avoir du mal à recruter, l’armée soviétique acceptait chaque année 50 000 hommes avec un casier judiciaire chargé. Cette pratique s’expliquait certes par la nécessité, mais il y avait quand même toujours cette idée du rachat moral.
Michel Goya, interrogé tout seul par BFM TV, estime que seules de « grandes attaques » permettront à Kiev de l’emporter...
Les Ukrainiens « n’ont pas d’autre solution que de lancer de grandes attaques. Ils ne peuvent pas rester pendant des années à grignoter le front ». Pour ajouter, un peu plus loin, que l’Ukraine est « exsangue, l’économie s’est effondrée. Le pays économiquement, même administrativement, ne tient que par l’aide occidentale ».