C’est vraiment jouer de malchance : la même année (2018), la plus grande Française de tous les temps et le plus grand prophète français vivant nous quittent. Simone Veil et Claude Lanzmann (en conducteur de train sur la photo) ne sont plus. Chaque Français se doit – sous la pression médiatico-politique – de rendre hommage à ces deux immenses personnages qui ont changé le visage de notre pays : Simone avec sa loi sur l’avortement, et Claude avec son film promotionnel sur le sionisme.
Comme on a déjà bien brossé le portrait de Simone, on va s’intéresser à l’héritage de Claude. D’abord, on ne peut pas dissocier Claude de Shoah, son œuvre indépassable. Ne déclarait-il pas sur France Culture : « un film comme Shoah, c’est l’élaboration minutieuse et la construction inattaquable d’une mémoire » ?
Le cinéaste Claude Lanzmann est décédé à l'âge de 92 ans.
Ici en 1985 à propos de son film "Shoah". pic.twitter.com/AJK7J0Pnlb— Ina.fr (@Inafr_officiel) 5 juillet 2018
Shoah est un réquisitoire non pas contre les Allemands, ce qui est assez surprenant, mais contre ceux qui ont laissé faire les Allemands en Europe dans les années 40, au moment où ils tuaient plein de juifs. Les Polonais en prennent plein la poire, par exemple. Dans le film, ils passent pour des complices forcenés et semblent avoir profité de la présence allemande (1939-1944) pour s’être débarrassés de leurs juifs. Du coup, Claude ne laisse pas passer. Ah ça non !
La télévision publique, qui a déjà multirediffusé Shoah à chaque occasion (crime antisémite, agression israélienne, besoin de droits d’auteur, attentat sous faux drapeau), ne pouvait pas ne pas le re-rediffuser en hommage à Claude. Ce sera chose faite sur Arte, la chaîne dévolue à la lutte contre l’antisémitisme, samedi 7 juillet 2018.
Le problème, c’est qu’il y aura en même temps Russie/Croatie sur TF1 ou BeIn Sports 1, le dernier quart-de-finale de la Coupe du monde ! Les Russes ne partent pas favoris, mais ils sont chez eux, et ils ont un gros contentieux historique avec les Croates, qui étaient les suppôts des Allemands en Yougoslavie pendant la Seconde Guerre mondiale... Le match risque d’être chaud bouillant ! Mais l’enjeu gigantesque ne doit pas faire oublier la disparition d’un géant.
Le monde politique n’a pas attendu les rediffusions de l’été pour réagir à la mort de Claude. Nous avons sélectionné les hommages les plus touchants, les plus grandiloquents, les plus époustouflants.
Claude Lanzmann portait avec humanisme la mémoire douloureuse de l'Histoire. Ensemble, nous avions décidé de distribuer "Shoah" dans les écoles de France. Ce film est une arme contre la folie et la lâcheté. Je me souviens d'un homme de combat pour défendre la beauté de la Vie.
— François Fillon (@FrancoisFillon) 5 juillet 2018
Shoah : quand j’ai vu l’extraordinaire film de Claude Lanzmann, il y a bien des années, j’ai été terriblement bouleversé. La télé va le rediffuser. Il faut le revoir, le faire voir à nos jeunes pour qu’ils n’oublient jamais ce que peut être l’absolu du mal.
— Alain Juppé (@alainjuppe) 5 juillet 2018
Alain Fillon et François Juppé ne sont pas les moindres de nos politiques, et leurs mots ont une portée incroyable. Chez les people, on a moins de vocabulaire mais on n’est pas en reste, par exemple Pierre Lescure avec sa « brique forte de civilisation », peut-être en rapport avec les centaines de briques qu’ils dépensait sans compter à Canal+ de la grande époque :
Il montait encore les marches du Festival en mai,continuant de batailler avec le temps,l’oubli et la folie des hommes.
Il est parti et une brique forte de civilisation avec lui.
Ce premier papier du Point le dit bien.
Claude Lanzmann est mort https://t.co/I1CUPLWXrN via @LePoint— Pierre Lescure (@pierrelescure) 5 juillet 2018
Le tweet le plus émouvant est peut-être celui de BHL, un philosophe qui laissera au monde un double concept innovant, la destruction de la Libye suivie de l’invasion migratoire de l’Europe :
Bouleversé par la mort de Claude Lanzmann. C’était un valeureux. Un cinéaste immense. Et un homme bon. Je ne me pardonne pas nos brouilles. Je chéris, comme un trésor, les beaux moments vécus ensemble.
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) 5 juillet 2018
De partout les hommages pleuvent, tombent, un vrai bombardement, personne ne peut y échapper, comme dans le film Le Jour d’après, où des grêlons monstrueux pilonnent de paisibles citoyens japonais à Tokyo.
France Culture, qui rediffuse l’intégralité des entretiens de 2005 avec sa coreligionnaire Laure Adler, nous livre un trésor inestimable : la voix du Prophète, enregistrée en janvier 2018...
"Si il y a une chose qui me scandalise irrémédiablement, c'est la fait d'avoir à mourir. Je suis profondément contre. Je n'aime pas la musique et je n'aime pas mourir. Vous pouvez dire ça de moi." Claude Lanzmann le 18 janvier 2018 dans @LaGrandeTable https://t.co/eSlmMUAa3q pic.twitter.com/uEPzFBpTRP
— France Culture (@franceculture) 5 juillet 2018
Pourquoi « prophète » ? Écoutez le grand rabbin de France, Haïm Korsia, interrogé par Le Figaro :
« Il y a beaucoup de réactions à sa mort, des points de vue très divers d’ailleurs, car comme Simone Veil, il a touché au plus profond tous les corps sociaux. Son combat pour la Shoah est d’une telle force que l’on risquerait d’oublier ses autres combats. Et ce serait minorer son œuvre. Il ne pouvait laisser indifférent car il était là non-indifférence incarnée. Il avait cette non-indifférence propre aux prophètes. Un prophète qui bouscule par ses énervements. Un homme capable de colères homériques. Mais des colères salutaires, celles du prophète. »
Le lanzmannisme est un humanisme
Bref, que retenir de la disparition d’un si grand prophète ? Que cela fait un trou, un trou béant que remplit heureusement la mémoire. Mais ne nous limitons pas aux personnages hautement importants de notre fabuleuse démocratie, certains Français plus effacés, plus fades, moins habiles, y ont aussi été de leur larme incandescente. On ne va pas enfiler tous les tweets des amoureux de Claude – car ils semblent une armée –, juste en diffuser deux ou trois, comme celui de Françoise, ministre de la Culture, ou François, l’ex-président de la République.
Claude Lanzmann a imposé les images contre l’oubli ; l’Art contre les négationnistes. Il était ce Grand Homme qui, avec « Shoah », a contribué à construire avec justesse notre mémoire collective.
— Francoise Nyssen (@FrancoiseNyssen) 5 juillet 2018
Avec la disparition de Claude Lanzmann, nous perdons aujourd'hui un grand écrivain et un immense cinéaste. Son travail sur la Shoah est immortel et restera comme une véritable œuvre d'humanité.
— François Hollande (@fhollande) 5 juillet 2018
Deux personnalités falotes avec deux épitaphes sans intérêt mais cela prouve que Claude touchait tout le monde, les grands comme les petits, les gros comme les minces, les intelligents comme les idiots. On n’échappe pas à la grêle lanzmanniste.
Par contre, petit cheveu dans la soupe, un qui n’a pas eu de bol avec son hommage, mais qui commet pas mal de boulettes en ce moment (le rejet sur les réseaux sociaux annonce en général le rejet dans les médias mainstream), c’est le sélectionneur-arbitre défaitiste national Pierre Ménès. Ce qui arrive à Pierre n’a probablement pas de rapport avec Claude, plus avec sa propre impopularité :
Je fais un tweet pour rendre hommage à Claude Lanzmann et en réponse j’ai droit à une armée d’antisémites et de négationnistes . J’ai plus de mots
— Pierre Ménès (@PierreMenes) 5 juillet 2018
Bonus : Claude interrogé par une grosse bimbo !
Conclusion : Claude aimait la Shoah, mais il aimait aussi les gonzesses le coquin !