Les anglicismes font intimement partie du paysage linguistique français. Un phénomène en expansion depuis quelques années dans nos entreprises. Comment expliquer cet envahissement ? Faut-il le banaliser ou au contraire s’en inquiéter ? Jean-Baptiste Jacob, responsable commercial, répond aux questions du Figaro.
C’est un combat des mots plus que des idées qui fait rage depuis plusieurs années en France. Et dans le monde. Présents dans les écoles, les entreprises et plus généralement dans la vie de tous les jours, les anglicismes ont littéralement pris le pas dans nos conversations.
Un phénomène banal, explique Jean-Baptiste Jacob, qui commence par une désaffection des Français pour leur langue. L’ancien étudiant de HEC et aujourd’hui responsable commercial chez Hiventy (prestataire de l’audiovisuel français), analyse ce phénomène d’anglicisation.
Le Figaro - « Start-up », « forward », « call »... On assiste depuis ces dernières années à un envahissement massif des anglicismes dans les entreprises françaises. Comment expliquer un tel déferlement ?
Jean-Baptiste Jacob - Rappelons tout d’abord que cet envahissement n’est pas un phénomène inédit. Les Inconnus brocardaient déjà les anglicismes qu’employaient les publicitaires au début des années 1990. Sans compter des linguistes comme Claude Hagège qui décriait déjà cet usage abusif au milieu des années 2000 avec la parution de son essai Combat pour le français, l’anglicisation de la langue française ne date pas hier. Toutefois, on assiste aujourd’hui à une nouvelle propension et trois raisons peuvent, selon moi, expliquer cet envahissement massif.
Aujourd’hui, à la différence des années 1990, où l’on employait des anglicismes par snobisme, on utilise ces mots d’anglais par paresse intellectuelle. Cela se comprend notamment par l’usage qui en est fait dans les grandes firmes. Tous les documents sont rédigés en anglais : les présentations sur Powerpoint, sur Word et même les e-mails y compris ceux adressés aux employés français. Ils doivent être compris de tous. Donc, si vous avez dans votre entreprise quatre-vingt-dix-neuf Français mais un non francophone, c’est l’anglais qui primera. L’anglais est, à mon sens, déjà la langue d’aujourd’hui dans les entreprises françaises.
On peut également noter une autre raison : les codes des entreprises. Dans le secteur du divertissement, par exemple, l’usage des anglicismes fait partie des codes du secteur. Chez Ubisoft, on employait ainsi très souvent le terme « edgy » pour parler d’un jeu vidéo ou d’un concept « avant-gardiste ».
Enfin, notons que cet emploi massif des anglicismes provient aussi et surtout du secteur des « start-up ». Comme l’anglais est historiquement sa langue, le français a parfois pris du retard pour traduire des mots issus de ce domaine et ainsi dû les adopter sans nécessairement pouvoir fournir une traduction littérale. Précisons tout de même que les grands champions des anglicismes ne sont pas souvent les meilleurs défenseurs de l’anglais et même ses meilleurs locuteurs...
Mais pourquoi un tel phénomène aujourd’hui plus qu’hier ?
Je pense que la langue française n’est plus perçue comme une langue moderne par le monde de l’entreprise parce que les employeurs considèrent aujourd’hui le problème comme secondaire. À mon grand regret, car l’anglais est un marqueur, à mon sens, illusoire de l’innovation. Les entreprises veulent diffuser un sentiment d’innovation à leur public et l’anglicisme répond à cette demande.
Mais, si l’on met la langue sur un lit de Procuste et que l’on réduit progressivement le lexique d’une personne, cela aura un impact très puissant et direct sur les pensées qu’il peut concevoir. Un peu comme pour les personnages de 1984 d’Orwell, dont le champ des possibles intellectuels se réduit à mesure que des pans entiers du dictionnaire sont frappés d’interdiction. Il est donc très important d’agir.