Mardi [3 juillet 2018], l’administration Trump a annoncé la suspension des politiques de l’administration Obama qui demandaient aux universités de considérer la race comme un facteur de diversité des campus, indiquant que l’administration favorisera un processus de sélection exempt de standards raciaux.
Dans une lettre conjointe, les ministères de l’Éducation et de la Justice ont annoncé qu’ils avaient abrogé sept lignes directrices de l’ère Obama sur la discrimination positive, qui, selon les ministères, « préconisaient un positionnement politique sur une stratégie de sélection surpassant les exigences de la Constitution ».
« Le pouvoir exécutif ne peut pas contourner le Congrès ou les tribunaux en créant des directives qui vont au-delà de la loi et – dans certains cas – restent lettre morte pendant des décennies » a déclaré Devin M. O’Malley, porte-parole du ministère de la Justice.
De façon plus mesurée, la secrétaire à l’Éducation, Betsy DeVos, a écrit dans une déclaration séparée :
« La Cour suprême a déterminé quelles politiques de discrimination positive sont constitutionnelles et les décisions écrites du tribunal sont le meilleur guide pour traiter cette question complexe. Les établissements doivent continuer à offrir des chances égales à tous les étudiants tout en respectant la loi. »
Les avancées de l’administration Trump parviennent à une croisée des chemins sur le sujet de la discrimination positive. Les tenants d’une ligne dure dans les départements de la Justice et de l’Éducation s’opposent à toute utilisation de la race comme outil de mesure de la diversité dans l’éducation. Et le départ en retraite du juge Anthony M. Kennedy à la fin de ce mois privera la Cour suprême de son vote pivot sur la discrimination positive, permettant ainsi au président Trump de mettre en place une justice opposée aux politiques qui tentent depuis des décennies d’intégrer les établissements d’enseignement des élites.
Un dossier très attendu est celui opposant les étudiants américains d’origine asiatique à Harvard. Ils accusent l’une des institutions les plus prestigieuses du pays d’exclure systématiquement certains candidats américains d’origine asiatique pour maintenir des places pour les étudiants d’autres races. Cette affaire vise clairement la Cour suprême.
« La question de l’utilisation des critères raciaux dans l’éducation est regardée d’un nouvel œil dans la mesure où ce ne sont pas seulement les étudiants blancs qui sont discriminés, mais également les Asiatiques et d’autres » a déclaré Roger Clegg, président et avocat général du Center for Equal Opportunity (Centre pour l’égalité des chances), aligné sur les conservateurs. « Avec les changements démographiques du pays, cela devient de plus en plus problématique. »
Les démocrates et les organisations de droits civiques ont dénoncé ces décisions de l’administration. Nancy Pelosi, député de Californie, leader de la Chambre démocrate, a déclaré que « le rétropédalage sur les directives de discrimination positive est une offense aux valeurs de la nation » et l’a qualifié « de nouvelle attaque évidente de l’administration Trump contre les communautés de couleur. »
Les documents d’orientation comme ceux qui ont été annulés mardi n’ont pas force de loi, mais ils correspondent à l’opinion officielle du gouvernement fédéral. Les responsables d’institutions qui garderaient intact le facteur racial dans leurs politiques d’admission sont avertis qu’ils pourraient faire l’objet d’une enquête ou d’une poursuite du ministère de la Justice, ou encore perdre le financement du ministère de l’Éducation.
Pour l’administration Obama, la diversité parmi les étudiants bénéficie aux étudiants. En 2011, l’administration fournit aux établissements une feuille de route pour l’application de politiques de discrimination positive et de consignes raciales qui pourraient résister à l’examen juridique d’une Cour suprême de plus en plus sceptique.
Dans des documents décrivant les politiques à suivre et publiés en 2011, les départements de l’Éducation et de la Justice d’Obama informent les écoles élémentaires et secondaires et les universités sur « l’intérêt pressant » dont fait preuve la Cour suprême pour l’atteinte des objectifs de diversité. Ils concluent que le tribunal « a clairement indiqué que, dans un cadre spécifiquement défini, de tels objectifs incluent la prise en compte de la race des étudiants individuellement. »
Mais pour les responsables du ministère de la Justice de l’administration Trump, ces documents sont particulièrement problématiques et remplis d‘« hypothèses » visant à permettre aux établissements d’user de la loi.
L’administration Trump a décidé de retourner aux politiques du temps de George W. Bush. L’administration n’a pas officiellement réédité les directives de l’ère Bush, mais dernièrement, elle a mis en ligne une directive sur la discrimination positive de l’administration Bush. Ce document stipule que « le ministère de l’Éducation préconise fortement l’utilisation de méthodes neutres pour l’affectation des élèves aux écoles primaires et secondaires. » Pendant plusieurs années, ce document avait été remplacé par une note stipulant la suspension de cette directive.
Le ministère de l’Éducation avait pour la dernière fois réaffirmé sa position sur la discrimination positive dans les écoles en 2016, après qu’un jugement de la Cour suprême ait déclaré que les écoles pouvaient considérer la race comme un facteur parmi d’autres. Dans l’affaire Fisher contre l’Université du Texas à Austin, une femme blanche affirmait qu’elle avait été refoulée en raison de sa race.
« La conciliation entre le maintien de la diversité et la promesse constitutionnelle d’égalité de traitement et de dignité, représente toujours un défi pour le système d’éducation nationale » a écrit le juge Kennedy à la suite du vote de 4 voix contre 3.
Certains établissements, comme les universités Duke et Bucknell, ont déclaré qu’ils attendraient de voir comment le ministère de l’Éducation appliquerait les nouvelles directives. D’autres collèges ont dit qu’ils maintiendraient la politique de diversité sur leurs campus, comme voulu par la Cour suprême.
Melodie Jackson, porte-parole de Harvard, a déclaré que l’université
« continuerait à défendre vigoureusement son droit, et celui de tous les collèges et universités, de considérer la race comme un facteur parmi d’autres dans les admissions au collège. Droit soutenu depuis plus de quarante ans par la Cour suprême. »
Une porte-parole de l’Université du Michigan, qui a gagné une importante affaire devant la Cour suprême en 2003, a fait entendre que l’université phare souhaite être plus libre sur la question du critère racial plutôt que moins. Mais elle est déjà contrainte par la loi de l’État. Après l’affaire, les électeurs du Michigan ont décrété constitutionnelle l’interdiction des politiques d’admission dans les établissements basée sur des critères raciaux.
« Nous pensons que la Cour suprême américaine avait raison en 2003 de valider notre politique d’alors qui considérait la race comme l’un des nombreux facteurs du processus d’admission » a déclaré Kim Broekhuizen, porte-parole du Michigan et d’ajouter : « Nous le pensons toujours. »
Le procureur général Jeff Sessions a indiqué qu’il adopterait une ligne dure contre de tels points de vue. Les procureurs fédéraux enquêteront et poursuivront les universités aux politiques d’admission discriminatoires, a-t-il ajouté.
Un haut fonctionnaire du ministère de la Justice a nié que ces décisions annulaient la protection des minorités. Il précise qu’au contraire, cela a rapproché le ministère de la lettre de la loi. Le bulletin des ministères indique que « les protections contre la discrimination raciale sont préservées » et que « les ministères sont résolus à appliquer fermement ces protections au nom de tous les étudiants. »
Anurima Bhargava, qui a dirigé la mise en place des droits civiques dans les écoles pour le ministère de la Justice sous le président Barack Obama et participé à l’écriture des directives de son administration, a déclaré que le retrait des directives était programmé pour la fin du mois, juste au moment des derniers dépôts relatifs au contentieux de Harvard.
« C’est une attaque purement politique » a déclaré Mme Bhargava. « Nos écoles sont l’endroit où nos communautés se rassemblent, alors nos écoles doivent continuer à promouvoir la diversité et à lutter contre la ségrégation, comme l’exige la Constitution des États-Unis. »
Pour Catherine Lhamon, qui a occupé le poste de responsable des droits civiques au ministère de l’Éducation sous Obama, les décisions de l’administration sont déroutantes. « La Cour suprême ayant statué sur le sujet tout en étant la plus haute cour nationale, il n’y a rien à repenser ou à reconsidérer » a-t-elle déclaré.
Vendredi, le ministère de l’Éducation a commencé à jeter les bases du changement en restaurant les directives de l’ère Bush sur son site web relatif aux droits civiques. Pour les groupes de soutien conservateurs, c’est prometteur. M. Clegg, du Centre pour l’égalité des chances, a déclaré que le maintien de l’orientation de l’ère Obama s’apparenterait à « la publication par le FBI d’une note sur la façon de mettre en place un profilage racial sans se faire attraper. »
Mme DeVos semble hésitante à s’embourber dans la suspension malheureuse des politiques de discrimination positive qui ont été initiées il y a 57 ans par une directive du président John F. Kennedy, reconnaissant les désavantages systémiques et discriminatoires pour les femmes et les minorités. Le ministère de l’Éducation ne partage pas l’intérêt formel du ministère de la Justice dans le litige de Harvard.
« Je pense que cette question a été débattue devant les tribunaux et que les tribunaux ont tranché » a déclaré Mme DeVos à l’Associated Press.
Mais Kenneth L. Marcus, nouveau chef de Mme DeVos pour les droits civiques, semble être en désaccord. Adversaire retentissant de la discrimination positive, M. Marcus a été installé le mois dernier par un vote du sénat en accord avec le parti et c’est lui qui a signé la lettre de mardi.
Sous la direction de M. Marcus, le Centre Louis D. Brandeis, une organisation de défense des droits humains qui défend les causes juives, a déposé un dossier en tant qu’amicus curiae en 2012, quand la Cour suprême a entendu pour la première fois l’affaire Fisher contre l’Université du Texas à Austin. Dans son mémoire, l’organisation note que « les standards d’admission incluant le facteur racial sont injustes pour les individus et malsains pour la société dans son ensemble. »
L’organisation a fait valoir que les étudiants américains d’origine asiatique étaient particulièrement victimes des « quotas » raciaux, autrefois utilisés pour exclure les Juifs.
Pendant que la question de la discrimination positive dans les admissions à l’université est débattue devant les tribunaux, l’issue pour les écoles primaires et secondaires est floue. La ville de New York est engagée dans un débat sur l’opportunité de modifier ses standards d’admission – actuellement un simple test – dans ses lycées les plus prestigieux afin d’y admettre davantage d’étudiants noirs et latinos.
Article traduit de l’américain par le Pôle Traduction d’E&R
La remise en cause progressive de l’« affirmative action » aux États-Unis :
Un débat sur la discrimination positive en France, diffusé dans Polonium de Natacha Polony :