Ardavan Amir-Aslani est un avocat et essayiste spécialiste du Moyen-Orient. Il a notamment publié Juifs et Perses. Iran et Israël (Nouveau monde), Iran-États-Unis, les amis de demain ou l’après-Ahmadinejad (Pierre-Guillaume de Roux) et L’âge d’or de la diplomatie algérienne (Editions du Moment).
Daoud Boughezala. Avant d’aborder les questions géopolitiques, commençons par vos activités professionnelles. Vous venez d’ouvrir le cabinet d’avocats d’affaires Cohen-Amir-Aslani à Téhéran. En vous permettant de vous installer en Iran sous ce nom à consonance juive, la République islamique entend-elle se laver des soupçons d’antisémitisme qui pèse sur elle ?
Ardavan Amir-Aslani. La République islamique n’a pas eu son mot à dire quant au lancement de notre cabinet, et aucun de ses représentants n’est venu nous interroger sur la question. La loi iranienne ne connaissant pas la notion de cabinet d’avocats en tant que telle, le barreau de Téhéran est exclusivement constitué d’avocats « individuels » à l’exercice libéral qui s’y inscrivent à titre personnel. Lorsque je distribue les cartes de visite de mon cabinet en Iran, j’ai droit à des sourires, parce que les gens reconnaissent le nom à consonance juive, mais sans aucune remarque désobligeante. D’ailleurs, les employés de mon cabinet sont issus de familles religieuses, pratiquent l’islam et ne trouvent rien à redire au fait de travailler pour nous.
Il n’est pourtant pas toujours très plaisant d’être Juif en Iran…
C’est une erreur de considérer le peuple iranien comme un peuple antisémite. Même la République islamique permet constitutionnellement aux minorités religieuses et ethniques d’être surreprésentées à l’Assemblée nationale iranienne. C’est à ce titre-là que les juifs, qui sont environ 30.000 en Iran, élisent un député. Ceci dit, je ne prétends pas qu’il n’y ait pas d’antisémites en Iran, l’ancien président Ahmadinejad en est un bon exemple.
La signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire aiguise l’appétit des investisseurs européens. Proche de l’Arabie Saoudite et du Qatar, la France a-t-elle raté le coche avec les milieux d’affaires iraniens ?
Le retour de l’Iran dans le concert des nations à l’issue de la levée des sanctions va être l’équivalent, d’un point de vue économique, du retour de l’ensemble des pays de l’Est-européen dans le camp occidental après la chute du mur de Berlin. Il s’agit de la première réserve gazière, de la quatrième réserve d’hydrocarbures au monde. C’est un pays de 83 millions d’habitants, un marché domestique important qui occupe une place centrale au Moyen-Orient. Je crois que la France a un coup à jouer parce que les secteurs les plus porteurs de l’économie iranienne - secteurs pétrolier, aéroportuaire, aérien, du traitement de l’eau – trouveront naturellement comme partenaires les grands groupes français comme Total, Airbus, Suez environnement ou Veolia. Malgré le positionnement particulièrement dur de la diplomatie française tout au long des négociations sur le nucléaire iranien, la France a su revenir dans le cœur des Iraniens. Quelques jours après l’accord de Vienne, Laurent Fabius a été parmi les premiers politiques d’envergure à faire son chemin de Damas en se rendant à Téhéran. Aujourd’hui, les Iraniens n’ont qu’une seule envie : pouvoir de nouveau commercer avec la France, laquelle pourra redevenir un partenaire industriel et commercial majeur.
Le Président iranien Hassan Rohani a vivement condamné les derniers attentats de Paris, les qualifiant de « crimes contre l’humanité » et contestant le caractère islamique de Daech. Est-ce une manière de conjurer le choc des civilisations ?
La journée tragique du vendredi 13 novembre était hélas prévisible. On aurait pu voir venir les choses depuis l’attaque des tours jumelles à New York le 11 septembre 2001. Ce jour-là, dix-sept personnes dont une majorité de Saoudiens et de Qataris, se sont écrasées sur des cibles civiles. C’est alors qu’a commencé le conflit de civilisations qui oppose l’Occident – c’est-à-dire non pas les pays de l’Ouest mais ceux qui sont attachés à la volonté de vivre et de laisser vivre – à une certaine version de l’islam. Il s’agit de la lecture wahhabite sunnite de l’islam marquée par l’Arabie saoudite. Or, il se trouve que cet islamo-fascisme djihadiste a également comme ennemi principal l’Iranien chiite. Ce dernier est le principal objet de leur haine, devant le Juif et le Chrétien.