Depuis maintenant plusieurs mois, l’État islamique (ISIS, EI, Daesh, etc.) s’en est pris à des sites emblématiques de l’archéologie orientale. Qu’il s’agisse du musée de Mossoul, de la cité de Nimrud, des remparts de Ninive, du palais de Khorsabad, du site arabo-parthe de Hatra, le patrimoine archéologique irakien, millénaire, unique, a souffert.
Pour rappel, l’EI, dans sa vision ultra-radicale de l’islam, professe la destruction des icônes païennes et a vocation à réduire en poussière toute trace des anciens temps, des anciens cultes idolâtres, sur les territoires conquis. L’idée même de conservatoire du passé, de musée, de patrimonialisation d’une antiquité non-islamique est considérée selon eux comme illégale au sens de la loi coranique.
La plupart de ces destructions ont fait l’objet d’une médiatisation : la vidéo des combattants dans le musée de Mossoul martelant des statues, ou bien encore la récente vidéo des destructions dans Hatra, avaient pour objectif de mettre en scène un combat autant militaire et politique que culturel en rendant palpable la destruction du patrimoine. Contrairement aux vidéos montrant la mort de prisonniers, nos médias se sont largement occupés de diffuser ces images, sans vraiment d’autre commentaires que « c’est horrible, ce sont des barbares », et sans vraiment prendre le temps du recul, et de l’analyse. On livre un choc, on délivre un message, on ne construit ni son contexte, ni son implication, ni son contenu réel. De fait, on sert exactement le projet et le but recherché par l’EI.
Récemment, une voix plus rare s’est faite entendre : celle de Pascal Butterlin, professeur d’archéologie orientale à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, dans l’émission d’Emmanuel Laurentin « La Fabrique de l’Histoire » (ici). Durant la demi-heure d’interview, P. Butterlin avait rappelé quelques éléments essentiels sur lesquels nous souhaitions revenir dans cet article.
Pillages et destructions archéologiques ne sont en rien un phénomène nouveau dans cette région du monde (ni dans nos confins européens d’ailleurs), des précédents en contexte de conflits existent de longue date (si on s’économie le débat sur les fouilles plus ou moins légales menées par les européens au XIXe et au début du XXe siècle, accompagnées elles aussi de pillages nombreux, on peut mentionner les Bouddhas de Bâmiyân, le pillage du musée de Bagdad en 2003, les destructions en Syrie depuis le début de la guerre civile, etc.). Par ailleurs, ce phénomène est loin d’être cantonné aux périodes de conflit, ni en Irak ni ailleurs. Il faut donc comprendre ces éléments au-delà de la propagande visuelle qui en est faite, au-delà du catastrophisme initial, et remettre en perspective les choses.
Beaucoup de paroles et peu d’images
Ce qui frappait dans les destructions les plus récentes, au-delà des marteaux, c’était la rareté des images, et la minutie ahurissante du montage vidéo. On ne fera que le rappeler : l’EI communique énormément via les réseaux sociaux, maîtrise parfaitement une imagerie contemporaine mêlant jeux vidéos, récitations du coran, GoPro, drones équipés de caméra, le tout monté sous forme de teasers, avec des plans successifs, composés de manière raisonnée. On est très loin du mollah avec son AK-47 sur les genoux devant une tenture marron maladroitement peinte de versets coraniques, et criant son prêche devant une caméra a 300 000 pixels. Il y a un vrai souci de production des images et de leur ajustement médiatique.
Néanmoins les images concrètes de ces destructions sont rares : 2 vidéos pour tous les sites évoqués précédemment. Une telle rareté est associée à un déferlement de mots : entre les nombreux avertissements des chefs de l’EI, les rapports catastrophés du gouvernement irakien, tout est fait pour que l’on s’inquiète et que l’on se morfonde. On entend parler de bulldozers, de dynamite, de « rasé », « anéanti ». On s’imagine un terrain aplati et retourné à coup de pelle mécanique, alors même qu’il n’existe aucune image de ce genre.
Le premier réflexe que j’ai pu avoir personnellement, c’est le recul : n’importe quel étudiant en archéologie sait le temps que ça prend de retourner à la pelle mécanique quelques centaines de mètres carrés sur 50cm de profondeur. N’importe quel étudiant en archéologie sait aussi que la plupart des grands sites orientaux comme Ninive, Nimrud, Khorsabad, font plusieurs dizaines/centaines d’hectares et sont des sites en « tell », c’est à dire des collines artificielles de plusieurs mètres (voire dizaines de mètres) d’altitude, constituées de sédiments anthropiques accumulés par des millénaires d’occupation. L’État islamique dispose t-il vraiment du temps que de telles destructions impliquent ? Rien n’est moins sûr. Mais surtout : quel pourrait être l’intérêt objectif de retourner des dizaines de milliers de mètres cubes de sédiments composés à 90 % de bâtiments de briques crues fondues par l’érosion, entremêlés entre eux ? Il est naïf de croire que ces gens là sont de stupides barbares et méconnaissent totalement la réalité : le pillage fait partie du mode de vie des populations locales depuis des siècles, on sait pertinemment que tout retourner ne servirait pas à grand chose.
En définitive, que nous apprennent vraiment ces images de destructions ? Au-delà du savant petit jeu de réactions de proche en proche qu’elles suscitent dans les médias occidentaux ?
Quand on s’approche un peu…
Quand on s’approche un peu la vidéo du musée de Mossoul (je vous laisse la chercher, désolé) est tout à fait instructive :
la plupart des statues détruites sont en fait des moulages en plâtre, des copies. Pourquoi ? Car le musée de Mossoul comme celui de Bagdad avait déjà été pillé en 2003, que certaines oeuvres ont fait l’objet de copies préalables et que ce sont souvent ces copies qui ont été replacées dans les collections du musée. Un simple coup d’oeil averti le montre : ces œuvres sont truffées d’armatures en fer modernes, autour desquelles ont été coulés les moulages. La texture même du sédiment brisé ne peut pas induire en erreur. La facilité avec laquelle les masses fendent le matériau non plus (j’ai déjà essayé de fendre un bloc de grès à la masse, je vous souhaite bien du courage pour tenter chez vous) (ne le faites pas)
la plupart des oeuvres détruites sont des grandes statues, indéplaçables, souvent publiées et déjà connues par des moulages.
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