Deux événements qui concernent l’Égypte d’une part, et la Russie et la France d’autre part, sont à signaler et à commenter d’une façon intégrée pour en faire sortir un événement politique en cours d’une réelle importance. Cet événement n’est rien moins que la concrétisation opérationnelle extrêmement convaincante du tournant antiaméricaniste de l’Égypte du général al-Sisi.
La reprise en main d’une Égypte qui était passée aux mains des Frères musulmans avec le président Morsi s’était réalisée dans des conditions d’une violence extrême qui avait mobilisé toutes les organisations et les conceptions humanitaires du bloc BAO [bloc américaniste-occidentaliste, NDLR], et influencé la politique sinueuse et incertaine de Washington dans le sens de l’humanitarisme et de l’affectivisme. Ces diverses réactions avaient provoqué notamment des réactions très marquées, antiaméricanistes, de la part du nouveau pouvoir égyptien. D’une façon générale, pourtant, la thèse privilégiée par les critiques idéologique de l’américanisme autant que des régimes antidémocratiques des pays du Moyen-Orient, critiques très souvent aussi manichéennes que l’américanisme, étaient que le régime Sisi retrouvait le régime Moubarak, principalement avec l’alignement par pression, influence et corruption, sur l’américanisme et sa politique impérialiste. Ce n’était nullement notre analyse, avec l’appréciation qu’il y avait dans la démarche de Sisi une dimension de néo-nassérisme marqué par l’hostilité à la domination US. Les meilleures relations établies avec la Russie par l’Égypte de Sisi allaient dans ce sens.
Nous interprétons donc les deux événements que nous allons présenter dans ce sens politique fondamental, comme une confirmation opérationnelle de l’orientation antiaméricaniste du régime Sisi. Nous employons le terme « fondamental » parce que les deux thèmes concernés sont, chacun dans leurs genres et dans des domaines d’une très grande importance, effectivement des événements stratégiques fondamentaux.
Le premier, dans le cadre d’une visite de Poutine en Égypte, c’est l’annonce que Russes et Égyptiens sont en train de mettre en place les conditions permettant de réaliser leurs transactions d’échanges commerciaux et militaires, qui sont importants et sont promis à augmenter, dans leurs monnaies nationales alors qu’ils utilisaient jusqu’ici le dollar. Il s’agit donc du processus de dédollarisation, lancé par les Russes depuis le début de la crise ukrainienne et l’extrême tension établie entre la Russie et les USA (le bloc BAO). On ne peut voir dans ce fait autre chose qu’une prise de position implicite et indirecte de l’Égypte en faveur de la position russe dans sa querelle fondamentale avec les USA. Il est évident que cette attitude égyptienne, – tout comme l’autre événement ci-dessous, qui est la vente possible du Rafale à l’Égypte, – va soulever des réactions très vives au Congrès à cause de l’aide financière massive des USA à l’Égypte (près de 2 milliards de dollars par an). Dans ce contexte, cette aide serait tout simplement sous la menace d’être complètement annulée. [...]
Le second événement est la vente possible de 24 Rafale français (plus une frégate FREMM) à l’Égypte, actuellement en cours de discussion et dans sa phase finale semblerait-il. (Avec les réserves d’usage, le Rafale ayant rencontré à l’exportation de nombreux déboires, en général dans les phases finales de négociation.) Ce sont les Égyptiens, et Sisi lui-même, qui ont fait des ouvertures aux Français il y a quelques mois, dans un sens très pressant. Avant-hier sur Europe 1/I-Télé, le ministre français de la défense Le Drian a parlé de cette affaire avec la plus grande prudence, mais confirmant indirectement qu’on se trouve dans la phase finale de négociation. (Dans Le Monde du 8 février 2015.)