Deux jours après une série d’attaques coordonnées et à grande échelle dans le Sinaï, qui ont tué au moins 30 morts parmi les soldats et policiers égyptiens la semaine dernière, un tribunal du Caire a désigné la branche armée du mouvement Hamas comme un groupe terroriste.
Étant donné que cette organisation palestinienne a servi en Égypte de bouc émissaire commode depuis la chute du président Mohamed Morsi, le moment choisi pour la décision du tribunal n’est probablement pas le fruit du hasard.
Cette décision semble plutôt en droite ligne avec le fait d’accuser le Hamas et la bande de Gaza, qu’il administre, de la violence dans la péninsule du Sinaï. En effet, la réponse du Caire aux attaques des militants qui ont tué 33 agents de sécurité dans la péninsule en octobre avait été de construire une zone tampon le long de la frontière avec Gaza.
Peu importe que ces autres attaques aient été revendiquées par le groupe égyptien Province du Sinaï (anciennement Ansar Beit al-Maqdis), qui a fait allégeance l’an dernier à l’État islamique d’Irak et du Levant (ISIL).
Guerre de mots
Qu’importe également, que le Hamas nie avec véhémence tout engagement militaire en Égypte, qu’une guerre de mots a éclaté entre la faction palestinienne et l’ISIL, que le Hamas a des différences idéologiques et stratégiques fondamentales avec les djihadistes, et que selon certaines informations, celui-ci commence peut-être à constituer une menace dans Gaza.
Il est beaucoup plus pratique, même si totalement infondé, pour le Caire de faire porter la responsabilité de la violence dans le Sinaï - ainsi qu’une foule d’autres questions nationales - sur le Hamas plutôt que de reconnaître qu’il s’agit d’un problème tout-à-fait interne à l’Égypte. Cela permet au gouvernement de gagner l’appui du public contre l’ingérence étrangère.
Cela permet également de détourner l’attention de ses propres échecs politiques, de ses promesses inconsistantes de sécurité, de ses responsabilités dans le développement de rebellions intérieures, dans les violations généralisées des droits de l’homme, et dans le cas du Sinaï, du lourd prix à payer par les habitants pour la zone tampon. Les rebelles du Sinaï ont cité ces abus pour justifier leurs actions.
Les attaques de la semaine dernière sont la preuve que Gaza n’est pas le problème, et que la zone tampon n’est pas la solution. Le prétexte habituellement invoqué était que le Sinaï pouvait servir de source d’armes et de combattants pour Gaza, mais depuis l’éviction de Morsi, on nous dit au contraire que le territoire palestinien fournirait les combattants du Sinaï. Cela défit la raison et la logique. La source la moins pratique pour les combattants du Sinaï est justement Gaza, qui a été soumise à un blocus strict par ses deux seuls voisins, l’Égypte et Israël, depuis plusieurs années.
Avertissements de tous les côtés
Les administrations égyptiennes successives ont souligné l’efficacité de leurs mesures répressives contre les tunnels de contrebande. Selon des responsables et des contrebandiers des deux côtés de la frontière, l’été dernier quelque 95 pour cent des tunnels n’étaient plus opérationnels. Le reste est réduit, instable, et devrait fournir la population de 1,8 million de personnes de Gaza avec les nécessités de base - ce qui n’est guère propices pour des fournitures militaires.
Pourquoi les militants de Gaza, qui ont du mal à obtenir suffisamment d’armes pour eux-mêmes iraient-ils les distribuer à d’autres alors qu’ils font face à l’agression israélienne ? Leurs stocks sont déjà quasi-épuisés par le dernière invasion israélienne, et il y a des avertissements de tous les côtés qu’une autre guerre est probable.
Dans ce contexte, l’ouverture d’un autre front, contre l’armée égyptienne, n’a pas de sens, car cela ne ferait qu’augmenter dramatiquement l’isolement du Hamas. Cette organisation doit également faire respecter le cessez le feu par Israël et administrer Gaza. Elle a besoin de force militaire pour faire les deux.
Les autres voies d’approvisionnement sont beaucoup plus abondantes, lucratives et accessibles. L’Égypte a des frontières longues et poreuses avec la Libye et le Soudan, déchirés par les guerres, et de vastes côtes de la Méditerranée et de la mer Rouge. Avec à peine 13 kilomètres, Gaza représente un minuscule 0,2 pour cent du total de la longueur des frontières de l’Égypte.
L’Égypte est entouré de pays qui sont inondés d’armes. L’étendue de l’offre et un choix abondant font qu’il serait absurde de vouloir les obtenir à partir de Gaza. La Libye, le Soudan, le Yémen, la Somalie, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Liban, la Syrie et l’Iran sont parmi les pays cités comme sources et voies d’approvisionnement pour les combattants du Sinaï.
L’expansion continue de la zone tampon du Sinaï, entraînant le déplacement de milliers de civils et la destruction de toute la ville de Rafah, va à coup sûr renforcer les rangs des rebelles. En décembre, il a été annoncé que la largeur de la zone serait multiplié par 10 par rapport à ses 500 mètres prévus à l’origine.
Un problème mal évalué
« L’ampleur des expulsions forcées a été choquante », a déclaré Amnesty International en novembre. Le groupe de déense des droits humains a accusé les autorités « d’ignorer complètement garanties essentielles requises par le droit international y compris la consultation avec les résidents, un préavis adéquat, une compensation suffisante pour les pertes et l’octroi de logements alternatifs à ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins, ce qui rend les expulsions illégales ».
Le blocus de plus en plus stricte de l’Égypte sur la bande de Gaza est également à l’origine du ressentiment parmi les résidents du Sinaï, qui ont des liens économiques et sociaux avec le territoire palestinien. Ceci a considérablement restreint les recettes commerciales pour une population déjà appauvrie.
Au lieu d’encourager les théories autour d’histoires de conspirations étrangères, Le Caire ferait bien de reconnaître que les troubles dans le Sinaï sont largement ancrés dans des griefs qui remontent à loin, dont les demandes pour une plus grande autonomie, la fin de la répression de l’État et de la marginalisation économique, politique et sociale.
En tant que telle, une approche purement militaire ne fera qu’aggraver les problèmes - une erreur faite non seulement par le gouvernement actuel - qui ce samedi a mis sur pied une nouvelle unité de lutte contre le terrorisme axée sur le Sinaï - mais par ses prédécesseurs.
Traiter de façon simpliste la situation comme étant la manifestation d’un militantisme religieux radical alimenté par le Hamas depuis Gaza, plutôt que de l’expliquer par des griefs internes et de longue date contre l’État, produit des diagnostics erronés qui aggravent le problème. Le public finira par comprendre, malheureusement après beaucoup de dégâts mortels, que la zone tampon dans le Sinaï n’a pas amélioré la sécurité.
Quelle sera alors l’excuse du gouvernement quand il sera impossible de faire jouer au Hamas et à la bande de Gaza le rôle de bouc émissaire ?