Vœu pieux ou manœuvre politique, l’avenir nous le dira.
La nouvelle tectonique politique saoudienne prend les commentateurs de vitesse : en moins de deux mois, un changement de régime, une purge intérieure, un renversement d’alliances dans le triangle USA-Russie-Israël, un abandon progressif du soutien au terrorisme, mais aussi une guerre désastreuse (au Yémen), un conflit de moins en moins larvé avec l’Iran, une crise économique intérieure, bref, le jeune roi a du pain sur la planche.
Sa réforme des hadiths en cours est-elle pilotée de l’extérieur ? Effet trumpien ou tentative de sauvetage de la monarchie ? La remise en cause du wahhabisme du régime va-t-elle le faire vaciller ?
Et n’oublions pas l’Iran : l’évolution saoudienne vers un islam dit modéré (ou tempéré) est-elle le moyen de faire de l’Iran le pays en pointe de l’islam non modéré ? Pour le faire basculer mécaniquement dans la liste des pays dangereux pour l’Empire (la fameuse liste du département d’État US) et donc, « terroriste » ?
C’est un événement considérable et peut-être historique. L’Arabie saoudite a annoncé en octobre, sans trop de tapage, la création d’un Centre des hadiths du Prophète. Ce centre devra « expurger les compilations des faux hadiths, de ceux qui sont en contradiction avec le Coran ou de ceux qui sont utilisés pour justifier et alimenter le terrorisme ».
Cette décision a pris la forme d’un décret du Roi Salmane. Pour en saisir la portée, il faut savoir :
que l’Arabie saoudite est la gardienne de l’Islam sunnite le plus orthodoxe ;
qu’elle est la gardienne des Lieux saints ;
que de nombreux hadiths sont le fondement du wahhabisme ;
que le wahhabisme et le pacte de Najd sont le fondement de l’État saoudien actuel, depuis environ trois siècles ;
que les hadiths et ce qu’on appelle plus largement la Tradition, sont la seconde source de législation chez la majorité des musulmans orthodoxes, après le Coran et avant l’analogie et le consensus de « ceux qui lient et délient ».
Pour tout résumer, les recueils des hadiths (paroles ou actes du Prophète, collectés plus de deux siècles après sa mort) sont souvent sacralisés au point que de nombreux critiques ont subi les foudres de leurs contemporains.
Comme le disait Mohamed Arkoune, « la charia est œuvre humaine », et elle a utilisé pour cela des hadiths dont l’authenticité n’est pas toujours garantie, loin de là, ainsi que le consensus des théologiens (ceux qui lient et délient, اهل الحل و العقد) et l’analogie, de sorte à fermer toute porte à l’Ijtihad (effort d’interprétation).
Le nouveau Centre sera basé à Médine. Sa direction a été confiée à un membre connu de la famille Al Cheikh, descendant de Mohamed Ibn Abdelwahab, fondateur du wahhabisme. Un « conseil scientifique international » sera constitué pour mener ce travail de purge.
Le décret royal saoudien est daté du 18 octobre. Il a été peu médiatisé. L’objectif assigné au centre est de « contribuer à diffuser la pensée modérée, l’Islam modéré ».
Depuis deux ans et de plus en plus fort, MbS annonce un retour au « vrai Islam » en Arabie saoudite et une ouverture de la société vers le monde et vers la culture. Il autorise les femmes à conduire.
Des cinémas, festivals, concerts de musique sont organisés publiquement. Un séisme, accueilli favorablement par la jeunesse saoudienne et une grande partie de la société, selon les témoignages concordants rapportés de sources médiatiques crédibles. Un séisme qui referme la parenthèse de la Sahwa (littéralement l’éveil), qui a duré plus de trente ans à partir de 1979, date de la « révolution iranienne », et qui avait redonné les clés de la société aux théologiens les plus conservateurs.
« Nous allons détruire immédiatement les pensées extrémistes »