Cette décision pourra-t-elle infléchir la migration massive des anciens colonisés algériens chez les anciens colonisateurs français, au profit de l’Angleterre qui n’a jamais été, le monde entier le sait, un pays colonisateur ?
Réclamé par le président Abdelamajid Tebboune en juillet, l’enseignement de la langue anglaise a été introduit dans les écoles primaires algériennes dès la rentrée de septembre 2022. La vitesse d’application de cette réforme obéit à de nombreuses arrières-pensées à l’égard du français, la langue de la colonisation, mais aussi veut contrebalancer l’échec de l’arabisation de la scolarité.
Lorsque les enfants algériens de la troisième année du primaire ont pris le chemin de l’école le 21 septembre 2022, ils ont découvert un emploi du temps chamboulé. En plus du français qu’ils commencent à apprendre à ce moment de leur scolarité, les écoliers du niveau équivalent au CM2 en France vont également étudier une seconde langue étrangère, l’anglais.
Moins de deux mois auparavant, en pleines vacances estivales, le président Abdelmadjid Tebboune avait annoncé que les autorités comptaient introduire l’anglais dans le cycle primaire dès la rentrée de septembre. Pour le commun des Algériens, l’annonce n’avait rien de nouveau. À plusieurs reprises, les responsables du pays avaient brandi l’étendard de l’anglais comme une solution miracle, tant pour conjurer le mauvais classement des universités algériennes dans les palmarès internationaux que pour remplacer le français, « une langue morte ». C’est évidemment une manière de narguer la France dès qu’un de ses dirigeants se permet une remarque sur la conduite des affaires internes algériennes, et bien sûr de remplacer la langue du colonisateur.
Pour une « langue internationale »
L’intention de remplacer la langue de Molière — actuellement première langue étrangère de l’éducation nationale algérienne — par celle de Shakespeare dans les écoles primaires avait souvent été évoquée, sans suite. Mais en ce 31 juillet 2022, Abdelmadjid Tebboune surprend tout le monde. Pour expliquer ce choix, il a paraphrasé le célèbre écrivain Kateb Yacine, qui avait qualifié le français de « butin de guerre ». « La langue française est un “butin de guerre”, mais l’anglais est une langue internationale », a tranché le président Tebboune.
L’adresse présidentielle n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Quelques heures plus tard, le ministre de l’Éducation nationale Abdelhakim Belabed annonce « la mise en œuvre » de la décision présidentielle dès la rentrée de septembre. Il n’y a pas d’enseignants recrutés ? On va en trouver ! Le manuel n’existe pas ? On va en faire un ! Dans l’immédiat, les directions de l’éducation des wilayas lancent des appels pour recruter des personnes qualifiées. La tâche est immense pour doter 20 000 écoles de professeurs d’anglais, d’autant que les postes ne sont même pas budgétisés. C’est le rush : 60 000 dossiers sont déposés en quelques jours. Finalement, seuls 5 000 personnes sont recrutées comme vacataires. Chacun d’entre eux prend en charge 4 à 5 écoles. Pas ou peu habitués à l’enseignement, ces nouveaux professeurs suivent des formations accélérées de quelques semaines pour être prêts pour la rentrée de septembre.
Les craintes et critiques des pédagogues
Précipité, expéditif et irréfléchi : le choix d’enseigner l’anglais en primaire dès cette année a fait réagir les pédagogues, syndicats d’enseignants et politiques. Tout le monde trouve que l’introduction de cette langue est « une bonne chose » pour permettre aux Algériens d’accéder à l’universalité. Mais beaucoup estiment que la célérité avec laquelle la décision a été mise en œuvre est « anormale ». « L’école, c’est du temps long. Il faut planifier sur 20,30 ans », relève l’éminent sociologue Aissa Kadri qui a rédigé de nombreux ouvrages sur l’histoire de l’éducation en Algérie. « C’est une décision qui aurait dû être discutée, réfléchie », observent plusieurs syndicats d’enseignants.
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Écho à la politique d’arabisation
Comme beaucoup d’universitaires et de critiques, Aissa Kadri, professeur émérite à l’université de Paris 8, fait le parallèle avec la politique d’arabisation durant les années 1970. À cette époque, le pouvoir du colonel Boumediene fait de la « rupture avec le colonialisme » un sacerdoce. Pour y parvenir, il décide d’arabiser l’école. C’est la naissance de la fameuse école fondamentale qui a formé des dizaines de milliers d’Algériens avec des résultats très mitigés. Mais comme il n’y avait pas suffisamment d’enseignants algériens formés en arabe, le régime a trouvé la parade ; il a demandé à la Syrie et l’Irak, mais surtout à l’Égypte de lui envoyer des coopérants. En plus d’être des néophytes, certains de ces « enseignants » ont été choisis parmi des Frères musulmans prisonniers dont le régime égyptien voulait se débarrasser. Pis, l’historien Mohamed Harbi, qui avait travaillé dans le cabinet du président Ahmed Ben Bella jusqu’au coup d’État de 1965 avant de s’exiler en France, rapporte que les autorités algériennes ont fait « exprès » de ramener des instituteurs proches des Frères musulmans pour donner une orientation idéologique à l’école algérienne. S’il est difficile de confirmer cette assertion, Aissa Kadri est convaincu que c’est en partie de cette décision d’arabiser l’école algérienne à la hussarde qu’est née la violence des années 1990.
Comme lors de la politique d’arabisation des années 1970, l’introduction de l’anglais dès le primaire n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Sans le dire clairement, les autorités affichent depuis de longs mois une volonté de se débarrasser de la langue française. À l’instar du président Abdelmadjid Tebboune, beaucoup de responsables s’expriment parfaitement en français, parfois mieux qu’en arabe d’ailleurs. Mais pour répondre à une partie de l’opinion publique qui réclame « la fin de l’influence française », ils ont décidé de couper les ponts avec une langue qui rappelle l’ancienne puissance coloniale.
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Pour l’heure, seule l’université de Sidi Bel Abbes (ouest) figure dans le classement Shanghaï pour 2022. Cet établissement a réussi à se classer à la 101e position mondiale dans le secteur de l’ingénierie urbaine, à la 201e position en génie mécanique et à la 301e en sciences des matériaux. Mais c’est insignifiant pour un pays qui compte plus de 100 établissements universitaires.
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