C’est toujours la même histoire : le Système tente de racheter – il dispose de la banque – tout ce qui peut avoir une influence sur le public. Car ce lien, la relation au peuple, constitue l’alpha et l’oméga du pouvoir. Depuis l’explosion des réseaux sociaux, et des vidéos d’expression directe, des individus ont cristallisé les interrogations d’une génération.
Un par un, le Système les décroche et leur fait jouer une partition plus officielle. Difficile de renoncer aux millions, à la gloire et aux filles, quand on s’appelle Norman ou Razy. Il suffit de conserver la forme – subversive – mais de changer le fond en propagande. La tromperie est vieille comme le monde, mais fonctionne toujours, génération après génération.
Aujourd’hui, la montée – ou alyah – dans le Système est simple, quand on est un obscur auteur-réalisateur-producteur de vidéos qui trouvent leur public : il suffit de faire des vues, si possible plus de 100 000, de renouveler l’exploit, et là, immédiatement, les vautours commencent à planer avec leurs contrats. C’est une logique idéologique mais aussi de marché, le marché étant la matérialisation de l’idéologie. Cela s’appelle acheter de l’influence, et ce n’est pas interdit. Le Système achète les talents, les âmes, tout ce qui se vend. Et les revend avec une plus-value, qui est sa marque.
Cependant, se faire acheter n’est pas sans conséquences, il y a une partition à jouer. Un néo-acheté (on dit aussi un « récupéré ») ne peut pas faire directement la publicité du Système, ce serait mal vu par son noyau de fidèles, et possiblement destructeur. Le glissement doit se faire en douce, homéopathiquement. Dans le cas de Norman, qui n’était déjà pas bien subversif, cela revient à faire du TF1, qui a absolument besoin de recoller avec les jeunes, annonceurs obligent.
Pour Kevin, avec son ambition de sens, ce sera plus compliqué : il va falloir renoncer aux 5% de subversion qui saupoudraient ses sorties, plaire au plus grand nombre, et peu à peu se faire détester de ceux qui ont fait son succès. Devant la possibilité de succès, lâcher son public tremplin (les « puristes ») pour le grand public est naturel. Ne jetons pas la pierre à ceux qui veulent profiter du Système, manger un steak tendre et goûteux.
Dans la scène suivante, Kevin Razy mange un steak avec Arthur de TF1 (en anglais mais les fans de Matrix savent de quoi il retourne) :
Concrètement, on a vu Kevin dans le Jacques Essebag Show quotidien (5 à 7 avec Arthur) d’avant les vacances d’été, paumé dans le coin supérieur gauche de l’écran – la place du mort en télé –, ne sachant pas quoi dire, au milieu de chroniqueurs requins autrement plus expérimentés. Régulièrement coupé au montage, il a été payé à rien faire, juste à exister à l’écran en tant que représentant de la diversité, pour l’audience et les annonceurs. Une humiliation. Aujourd’hui, grâce à ce sacrifice d’honneur, il peut entrevoir une meilleure production pour ses vidéos.
La contrepartie, parce que rien n’est gratuit en ce très bas monde : déboîter l’Internet trop subversif pour le Système. Car ce boa qu’est le Système peut tout avaler, sauf un os de travers. Après le grand vautour TF1, Kevin approche le petit vautour Rue89 :
« C’est un rêve que j’ai depuis presque deux ans. L’idée de vulgariser des informations en faisant rire. Je voulais voir ça en France : un présentateur qui incarne vraiment un propos et qui soit en mesure de le faire. Donc pas un journaliste, plutôt un comédien. Ce projet coïncidait aussi avec une envie personnelle, d’apprendre des choses aux gens. Je n’ai plus envie de faire vannes pour faire des vannes. Des choses se passent dans le monde... Voilà, on essaye d’insuffler des messages. »
On note un premier œdème au niveau des chevilles, un second au cerveau. Non content d’avoir intégralement pompé un format américain – comme tous les animateurs télé français, paresseux et plagiaires – Kevin se prend pour l’inventeur de l’infotainment, le concept qui aura finalement coulé Canal+. Dans le même entretien, l’Œdème en sort une drôle, tout de même :
Rue89 : À vous écouter on pense aussi à Soral ou Dieudonné qui sont considérés comme de véritables vecteurs d’information par tout un tas de gens...
Razy : Oui, c’est pour ça que c’est important d’incarner aussi une rigueur journalistique. Et c’est tout l’intérêt du programme. On ne veut pas raconter des actus chaudes, tomber dans le piège du clic. On veut apporter du fond.
Passons sur le mépris contenu dans le « tout un tas de gens », et passons à la « rigueur journalistique » de Kevin. Nous sommes à 8’07 de sa nouvelle émission, dans laquelle il feuillette et commente le « magazine de Daech » :
« Et y a un autre article aussi sur Alain Soral. Même eux ils l’aiment pas dis donc (rires enregistrés). Et ils le dénoncent dans le numéro 7. Ben ouais pasqu’en fait le mec est tellement complotiste qu’il dit que Daech n’existe pas et que c’est un complot juif (rires enregistrés). Vous imaginez quand Daech les mecs ont lu ça ils ont dû être choqués les gens, attends (changement de voix pour une voix pleurnicharde) on nous a dit “islamo-racailles” on n’a rien dit, on nous a dit “sales bougnoules” ça va, mais “juifs”, des juifs là ça va trop loin les gars (rires enregistrés), doucement avec la liberté d’expression les gars, on n’est pas tous Charlie (rires enregistrés, applaudissements). »
Kevin, tout à son public de rires enregistrés, ne se demande pas comment parmi quelques milliers de combattants pieds nus, bombardés du matin au soir par les avions et l’artillerie les plus modernes du monde, les plus chirurgicaux, certains combattants spécialistes de la presse française ont le loisir de sortir un magazine chic sur papier glacé…
Mais cela n’arrête pas le youtuBeur, qui communique avec Rachid Kassim, censé être le responsable du recrutement et le commanditaire des attentats sur le sol français. Kassim, l’homme à la tête de l’emploi… Un peu trop, justement. S’il avait un peu de « rigueur journalistique », Kevin devrait éplucher, avant de se lancer dans une analyse géopolitique qui le dépasse, quelques livres sur les manipulations historiques du renseignement afin de comprendre à quoi sert Kassim, qui n’est qu’une image, comme Daech.
Kevin (Razy) travaille pour la même maison que Rachid (Kassim) !
- Petite jalousie entre collègues employés de l’Oligarchie
Une image sur une couverture. Et là, Kevin saisirait peut-être qu’un montage monstrueux à tous points de vue est en cours, qui implique des « services » commanditaires, et des soldats aveugles, aveuglés par la haine, le captagon et l’intoxication. Cela éviterait à Rachid de faire la morale à un fantôme devant un public conquis. Oui mais voilà, quand on est passé du « bon » côté de la barrière, celui des commanditaires – et donc de Daech, qui sert les intérêts de l’oligarchie américano-sioniste –, il ne reste plus que l’indignation manichéenne, avec quelques grammes d’humour Jamel Communautary Club, histoire d’enrôler les jeunes en demande d’explications.
Kevin, dans 10 ans, quand le Système l’aura jeté, comprendra qu’il a fait exactement ce que font les petits soldats de Daech pour l’oligarchie : le sale boulot.
Certes, les choses sont plus simples et moins douloureuses quand on adhère à la légende officielle. On sépare les bons des méchants, les bons étant ceux qui nous racontent l’histoire, leur histoire, la bonne histoire. Et quand les figures raconteuses d’histoires sont usées (les médiateurs mainstream), le Système va pêcher de nouvelles têtes pas encore décrédibilisées. Mais qui se décrédibiliseront encore plus vite que les anciennes, à cause de la puissance de la lucidité internetique. Le sucre de la propagande se dissout à vitesse grand V sous la langue de la vérité.