La juge d’instruction antiterroriste Jeanne Duyé a annoncé vendredi 7 août le renvoi en correctionnelle de huit militants, dont Julien Coupat, soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV. Mais la magistrate n’a pas retenu la circonstance aggravante d’"entreprise terroriste".
Cette décision est un coup de tonnerre : le gouvernement et la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ont été accusés d’instrumentaliser l’affaire en insistant sur son caractère terroriste. Le parquet a néanmoins fait appel de la décision le 10 août.
En mai 2015, Julien Coupat s’est exprimé dans les colonnes de L’Obs. Nous republions de larges extraits de l’entretien.
Il ne s’était pas exprimé dans la presse depuis 2009. Après avoir été incarcéré six mois pour des accusations de "terrorisme", Julien Coupat était devenu à gauche un des plus puissants symboles d’une dérive autoritaire du pouvoir sarkozyste, accusé de monter en épingle une affaire de sabotage de caténaires SNCF pour créer un "ennemi intérieur". Leader intellectuel du groupe de gauche radicale dit "de Tarnac", il n’avait pas cessé depuis de dénoncer une manipulation policière, menant une rude bataille judiciaire aux côtés des autres inculpés.
On le sait désormais, le quinquennat socialiste n’aura pas inversé la tendance. Deux jours après le vote par l’Assemblée de la loi sur le renseignement, Julien Coupat, 40 ans, s’est vu signifier, le 7 mai 2015, une demande de renvoi en correctionnelle pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", aux côtés de deux jeunes femmes, parmi lesquelles sa compagne Yildune Lévy [depuis, la juge d’instruction a annoncé qu’elle ne retenait pas la qualification de "terroriste" dans ce dossier]. Un certain François Hollande, alors président du conseil général de Corrèze, territoire sur lequel se trouve Tarnac, avait pourtant pris la plume au printemps 2009 pour ironiser sur la qualification des faits en "terrorisme" et dénoncer une "affaire politique".
"Dans n’importe quel autre pays d’Europe, un dossier comme celui-ci aurait depuis longtemps donné lieu à relaxe avec de discrètes excuses des autorités", commente Julien Coupat. "Mais nous sommes en France, et, comme l’écrivait Alexandre Herzen, en France, quand on entre dans un tribunal, on recule de deux ou trois siècles."
Vous n’êtes plus que trois, au sein du groupe de Tarnac, à faire l’objet de poursuites. Avez-vous eu à un moment donné l’espoir d’un abandon définitif des charges ?
Depuis le jour de nos arrestations, nous avons toujours trouvé hilarantes les charges qui pèsent contre nous. Et nous trouvons toujours aussi hilarant que le parquet s’appuie dans son réquisitoire, pour étayer l’accusation de "terrorisme", sur un livre en vente à la Fnac, "L’Insurrection qui vient", et le témoignage sous X d’un mythomane qui a reconnu au 20 heures de TF1 avoir été manipulé par la police antiterroriste. Les procureurs sont des écrivains de polars ratés. Leur littérature, pleine de "structures à finalité subversive clandestine", de "plans terroristes", de "tentatives de déstabilisation de l’État par la destruction des infrastructures ferroviaires", est manifestement le produit de l’imagination squelettique de gens qui regardent la vie depuis les fenêtres de leurs cabinets molletonnés. Leur mauvaise foi prête à rire.
Mais, un peu comme pour le procès-verbal de filature D104, l’hilarité s’arrête quand vous prenez conscience que la magistrature a, dans son petit monde suspendu, le pouvoir de transformer, contre toute évidence, un faux grossier en "vérité judiciaire" – quand vous réalisez que tout cela est grotesque, mais que cela marche, et se dirige vers vous pour vous écraser.
Nous ne nous sommes pas battus, et nous ne nous battons pas, pour faire reconnaître on ne sait quelle innocence ni pour que la justice, dans sa grande mansuétude, daigne abandonner ses poursuites infondées. Nous nous battons parce que l’on a tenté et que l’on tente encore de nous détruire, de rayer définitivement de la carte la possibilité politique dont l’État a fait de nous un exemple. Nous nous battons pour nous, pour nos proches, pour nos amis et pour tous ceux qui nous ont un jour exprimé leur sympathie, et ce malgré la disproportion massive des forces.
Plutôt que de faire prudemment marche arrière, l’appareil antiterroriste, ivre de sa toute récente popularité, insiste pour avoir le dernier mot dans l’enceinte de ses petits tribunaux. Qu’il sache que nous ne sommes pas de ceux qui se laissent faire, que nous préférerons toujours déchaîner les feux de l’enfer plutôt que de nous laisser piétiner, et que nous ne sommes pas seuls. (...)
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