Sacré Manuel, il revient de ses vacances ratées en Espagne (on devrait dire en Catalogne), et la moindre des choses, ce serait de nous parler de la France, des Gilets jaunes, de la souffrance sociale, de la pandémie de néolibéralisme, des attentats non résolus pendant son mandat de Premier ministre du CRIF, eh bien non, tout ce qu’il trouve à nous dire, c’est que « l’antisémitisme et l’antisionisme sont plus que jamais à combattre » [1]. D’accord, mais avec quelles armes ? Une kalach ? Un couteau ? Un marteau ? Des pierres ? C’est pas super clair, la lutte contre l’antisémisionimitisme...
- Ça va ? Ça tremble moins ? Tu peux baisser les doigts, ça va commencer...
Salut Manu, alors, t’as regardé les César, t’as vu ce qui arrive à Polanski ? T’as vu J’accuse, au fait ?
C’est le génie des grands intellectuels, ils sont visionnaires. Le 16 mai 1896, Émile Zola publie en première page du Figaro un article intitulé « Pour les juifs ». Zola entend dénoncer avec force l’immonde campagne antisémite menée essentiellement par Édouard Drumont depuis la publication de son ouvrage, La France juive, en 1886. Zola n’est pas encore engagé dans la défense du capitaine Dreyfus, condamné et embastillé à l’île du Diable depuis deux ans. Il ignore tout à ce moment de l’affaire et de son innocence.
Tiens, La France juive. Quand on met son nez dedans, c’est un drôle de bouquin : bien écrit, net, clair, sans bavure, et pas du tout antisémite, juste pro-France ! Drumont ne hait pas les juifs, il aime la France de tout son cœur, nuance ! C’est pas comme toi...
Les termes « antisémite » et « antisémitisme » s’installent progressivement dans le vocabulaire et changent le contenu du débat intellectuel et politique. Zola les intègre dans son article qui, comme son célèbre « J’accuse », publié le 13 janvier 1898 dans L’Aurore, grâce à Clemenceau, est un « moment de la conscience humaine » pour reprendre les mots d’Anatole France devant sa tombe le 5 octobre 1902.
Bon écoute, ça c’est du Wikipédia, la version officielle de l’Histoire pour les cons. T’as pas autre chose en magasin ?
Zola est porteur d’une pensée prophétique. Il s’avance seul devant une opinion avide de revanche depuis la défaite de 1870, à la recherche de boucs émissaires, chauffée à blanc par un nationalisme haineux. Il s’oppose à la plupart de ses contemporains. Il offre une argumentation solide et cohérente face à l’antisémitisme et à la judéophobie de Drumont. Cet antisémitisme moderne et populiste – les Juifs assimilés aux bourgeois, à l’argent et au pouvoir –, dépassant les clivages entre la gauche et la droite, est une véritable répétition générale du XXe siècle.
Tu sais, Manu, on a lu pas mal de livres d’histoire, d’économie, de politique, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le XIXe siècle, c’est le siècle où se constituent les immenses fortunes du capitalisme naissant en France, et par-delà la puissance écrasante des banques, et des banques juives, qui forment la Haute Banque, celle qui prête à l’État, aux États. Avec intérêts, bien sûr. Les juifs, ou plutôt l’élite juive, soyons précis, assimilés comme tu le dénonces (tu dénonces une vérité) « aux bourgeois, à l’argent et au pouvoir », c’est une réalité historico-économique vérifiable ! La banque Rothschild a la main sur les affaires du pays, par le biais de ses prêts et de ses conseils, et la famille traverse sans encombres trois révolutions et trois Républiques ! Qu’est-ce que tu dis de ça ? On dirait du révisionnisme sioniste : non, l’élite juive n’a jamais été proche du pouvoir... Tu te rends compte de ce que tu dis ? Ça affaiblit complètement ta démonstration. Et t’as été ministre, en plus... Si tu en restes à Zola, c’est vraiment le niveau lycée avec son manichéisme et sa réécriture de l’Histoire.
Les mots de Zola n’ont rien perdu de leur actualité. Dans un portrait qui lui était consacré, il y a quelques jours, le président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, s’interrogeait : « Qui s’élève en France pour les Juifs ? Qui s’élève en Allemagne pour les Juifs ? Qui s’élève en Europe pour les Juifs ? ». « Niemand, personne, nobody », répondait-il lui-même, cinglant. Ces mots m’ont bouleversé. Ils peuvent paraître injustes. Nous sommes nombreux à parler et à agir contre l’antisémitisme, la haine des Juifs, et l’antisionisme, la haine d’Israël, qui convergent depuis des années. Et pourtant je me sens concerné par le reproche.
Arrête ton Merkava avec la haine, les haines, ma haine ta haine sa haine... On dirait une resucée du derniers discours du CRIF, faut innover un peu. Le problème c’est que tu pars, pour ton envolée lyrique, de données falsifiées, de fantasmes, d’un grossissement incroyable d’une poignée de faits. On te fait dire que Notre-Dame a brûlé en 2019, que des Français ont été fusillés par on ne sait qui en 2015, qu’on a 10 ou 12 milions de pauvres, mais toi, tout ce que tu trouves à dire, c’est antisémitisme, antisémitisme... Change de disque, Manu, le tien est rayé à mort (comme les pyjamas de ceux qui tu crois défendre).
Les actes antisémites traduisent partout en Europe mais aussi aux États-Unis un mal profond. Ils sont par essence annonciateurs de grandes catastrophes. Ces vagues antijuives sont le fruit de l’antisémitisme radical d’extrême droite – qui s’attaque aussi aux musulmans –, d’extrême gauche et de l’islamisme. Ils accompagnent la crise de la démocratie et la montée du national-populisme.
Des « vagues antijuives » maintenant... Pourquoi pas la division SS Viking qui déboule dans le Marais à Paris ? T’as les freins qu’ont lâché ? Où est-ce que tu as vu des hordes de Français avides de sang juif se précipiter dans les 448 synagogues du pays pour les brûler ? T’es pas en Allemagne en 1934, sors de ton délire, reviens sur Terre et surtout en France.
Il faut d’abord admettre et connaître cette réalité, qui est plus forte en France que dans d’autres pays européens, pour mieux la combattre. À l’antique antisémitisme chrétien disséqué par Léon Poliakov s’est greffé un modernisme antijuif, une haine des Juifs – si proche de la « France juive » de Drumont – et une détestation d’Israël, présents dans une large partie de la sphère politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Dieudonné et Soral parmi d’autres sont l’expression de cette haine. Cet antisémitisme, nous l’avons retrouvé parmi les « gilets jaunes » ou dans un carnaval odieux en Belgique.
Une bonne fois pour toutes, Manu, les gens ne détestent pas Israël, ils ont juste le sens de la justice et détestent la colonisation, le vol, le mensonge, le meurtre, tout ce que les hommes politiques israéliens au pouvoir pratiquent depuis près de 75 ans maintenant. Les gens ne détestent pas Israël, ils détestent la politique israélienne, qui est tout simplement et violemment sioniste. Et arrête de nous casser les couilles avec le carnaval d’Alost : qu’est-ce qui est le plus grave, mettre en taule des milliers de Palestiniens, envoyer des obus sur des mômes qui jouent sur la plage, détruire des dizaines de milliers de maisons, affamer et rendre fou tout un peuple, ou déambuler dans les rues de Belgique en tournant en ridicule les pouvoirs et ceux qui le tiennent ? Ça te défrise que le petit peuple, chrétiens et musulmans confondus, un jour dans l’année, se moque des puissants ?
Ce que j’ai nommé l’islamo-gauchisme, qui a prospéré dans les quartiers populaires, dans les banlieues, cache son antisémitisme sous une forme d’anticapitalisme, de rejet de la mondialisation, assimilée « aux Juifs qui dominent le monde grâce à l’argent » (rien de très original dans la rhétorique…) et de l’antisionisme qui n’est que la négation de l’État d’Israël, instrument de cette domination dont les Palestiniens seraient les premières victimes… Vous trouvez ces discours dans les rangs de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et de l’extrême gauche française, chez Podemos en Espagne ou Corbyn en Grande-Bretagne. La haine du Juif et d’Israël a également prospéré avec l’essor de l’islamisme dans nos pays européens, à travers les réseaux sociaux ou les paraboles relayant la culture antisémite et anti-israélienne d’une partie du monde arabe.
« Dont les Palestiniens seraient les premières victimes »… Pourquoi tu mets un conditionnel ? T’as pas l’impression de nier le réel ? Quant à la haine d’Israël, si on te fout dehors de chez toi, qu’on maltraite ta famille et ceux qui restent, tu vas rester calme ? Le piège se referme sur les Palestiniens : s’ils enragent de leur situation, alors les médias les montrent enragés, ce qui justifie la répression israélienne, et s’ils sont soumis, alors tout va bien dans le meilleur des mondes. Manu, ne confonds pas résistance et terrorisme : les Palestiniens résistent au terrorisme israélien, point à la ligne. Et ça leur coûte cher, très cher. Ils luttent contre la haine israélienne ! Et toi tu continues à dénoncer l’antisionisme ?
Faute d’avoir compris ces phénomènes et aussi cette complexité, une partie des responsables politiques hésite à s’engager dans cette condamnation claire et évidente de l’antisionisme qui n’est que le paravent de l’antisémitisme. Il faut en prendre toute la mesure pour mener un combat déterminé. Il faut donc nommer les choses, ne pas avoir peur de s’exposer, avoir du courage. Zola nous montre la voie. Les hésitations ou les lâchetés au moment des assassinats antisémites d’Ilan Halimi ou de Sarah Halimi doivent nous révulser.
Et les assassinats non antisémites, on en fait quoi ? Ils comptent pour du beurre ? Tu ne vois pas que la communauté juive organisée est en train de chauffer les fractures françaises pour maintenir les juifs du quotidien dans la peur, afin de resserrer les rangs parmi les 500 000 juifs français et éventuellement de les faire partir en Israël, qui est en train de perdre la bataille démographique avec les Arabes ?
Je vis comme un échec pour la République le fait que, depuis vingt ans, de nombreux Français juifs aient décidé de partir en Israël à cause de la montée en puissance de l’antisémitisme et parce qu’ils avaient le sentiment que la France ne les protégeait plus. Bien entendu, l’antisémitisme ou le négationnisme ne sont pas seulement l’affaire des Juifs, mais bien de tous. Pourtant je le redis, comme je l’avais proclamé devant l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 10 janvier 2015 : la France sans les Juifs ne serait plus la France. Alors, comme Zola, nous devons nous engager, pour les Juifs.
Et pour les Français, non, ça ne te vient pas à l’esprit ? De te concentrer sur les Français et pas seulement sur une communauté, qui en plus n’est pas du tout persécutée, ce serait plutôt le contraire : c’est le lobby sioniste qui persécute les nationalistes français, ceux qui ne veulent pas de cette tutelle. N’inverse pas les choses, sinon c’est de l’escroquerie intellectuelle. Ton combat, tu n’as qu’à le mener là-bas, va faire ton aliyah, prends les armes et tue des femmes et des enfants. C’est un noble combat, tu verras. Mais pour cela, il faut haïr, c’est plus simple après.
Nous devons savoir que le combat sera long et difficile. Sur tous les fronts : sécuritaire et judiciaire, éducatif et culturel, mémoriel. Dans la société, dans les quartiers, à l’école, sur les réseaux sociaux. C’est donc une bataille idéologique, culturelle, intellectuelle et civilisationnelle. Il faut la gagner.
N’importe quoi, on dirait une mobilisation en masse, terre, air, mer, contre le grand danger, l’Antisémitisme, ce gros fantasme qui conditionne la domination de l’organisation sioniste en France. À vrai dire, t’es complètement barge.
Franchement, dis-nous la vérité, t’as fait quoi de si grave pour que les autorités sionistes françaises te tiennent comme ça et t’aient transformé en perroquet de BHL, Netanyahou ou Meyer Habib ? Est-ce que ça a un rapport avec quelque chose que tu sais, que eux savent et qu’on ne sait pas ? Tu étais là en 2015 et 2016, pendant les années de sang, tu dois bien savoir qui sont les commanditaires de ces affreux attentats, non ?