Horaires décalés, manque d’effectif, frustration... Depuis trois ans, Emma P. (nom d’emprunt), est infirmière de nuit. Si son métier la passionne, ses conditions de travail l’épuisent et l’inquiètent de plus en plus. Elle raconte son quotidien nocturne à l’hôpital.
Infirmière de nuit depuis trois ans, je suis déjà désabusée. J’aime profondément mon métier et je n’en changerai pour rien au monde, mais le rythme de vie qui est devenu le mien est éreintant et mes conditions de travail sont aberrantes.
Une réalité difficile à vivre
Cette profession, je l’ai choisie pour la proximité avec les patients. Leur apporter un soutien et les aider à faire face à la souffrance, c’est ce qui m’anime.
Travailler en décalé, c’est aussi un vrai choix. Pendant mes études, j’avais exercé de jour, puis de nuit et cette seconde expérience m’avait passionnée.
La nuit, les effectifs sont réduits et les équipes sont plus soudées. C’est aussi le moment où les patients se retrouvent seuls face à eux-mêmes. Leurs angoisses ressurgissent et l’aspect relationnel du métier prend davantage d’importance.
En choisissant ce mode de vie, je voulais aussi gagner en autonomie : la nuit, les médecins ne sont pas dans le service, j’ai donc dû apprendre à me débrouiller seule. Pour progresser, c’est la meilleure des écoles.
Malheureusement, tout ce qui m’avait au départ attirée dans la nuit se révèle aujourd’hui difficile à vivre.
À l’hôpital de 20h à 6h45
Évidemment, quand on travaille en décalé, le rythme au quotidien n’a rien d’évident, mais je l’ai choisi et je l’assume, même si je ne pourrai certainement pas faire ça toute ma vie.
Je travaille deux à cinq jours par semaine, de 20h à 6h45, pour environ 1 800 euros par mois. Le matin, quand je rentre à la maison, je prends mon petit-déjeuner, je me douche, puis j’essaye d’évacuer la pression de la nuit en regardant un film ou en faisant du rangement. En général, je ne m’endors jamais avant 9h… c’est le temps qu’il me faut pour avoir l’esprit libre.
Je me réveille ensuite entre 14h et 15h et je n’ai pas vraiment le temps d’émerger : si je veux avoir une vie sociale, je suis bien obligée de me dépêcher.
L’apéritif à l’heure du petit-déjeuner
Il m’arrive parfois d’aller boire l’apéritif avec mes amis sur les coups de 18h. C’est assez déstabilisant : alors que je devrais être en train de déjeuner, je me retrouve à boire une bière. À force, on prend l’habitude.
Si j’arrive à avoir une vie sociale, je me suis quand même éloignée de certains amis du fait de nos modes de vie opposés.
Il en va de même pour la vie sentimentale : travailler de nuit n’aide pas à faire des rencontres. Le jour où je rencontrerai quelqu’un, je songerai sûrement à reprendre un rythme normal.
Mon corps vieillit prématurément
Quand on travaille de nuit, la fatigue s’accumule vite. J’essaye de la dissimuler en buvant du café : certaines nuits, il m’arrive d’en consommer jusqu’à six.
Comme beaucoup d’infirmières de nuit, je sens que mon corps vieillit prématurément. J’ai beaucoup plus de douleurs qu’avant et je récupère moins facilement.
À force d’être surexposée à la lumière jour et nuit et de travailler sous les néons de l’hôpital, j’ai aussi développé des problèmes de vue. Chose encore plus étrange : dès que j’ai commencé à travailler de nuit, j’ai eu des caries. Le dentiste m’a dit que cela avait un lien avec mon rythme de vie.
Sur le papier, les infirmiers de nuit sont contrôlés deux fois par an par la médecine du travail. Mais dans les faits, nous n’avons qu’un seul contrôle annuel et celui-ci ne me paraît pas plus approfondi que pour un infirmier de jour.