Récit d’un circuit effectué en taxi les 25 et 26 septembre 2012, au départ de Téhéran (Iran) d’abord un peu à l’Ouest puis plein Nord, en franchissant la chaine montagneuse pour déboucher à Chalus au bord de la mer Caspienne, ensuite suivi de la côte maritime vers l’Ouest (avec qq arrêts) jusqu’à Rasht qui est un peu distant de la mer ; 2ème jour visite de Rasht puis retour par la vallée du Sefid Roud ensuite montée par Rudbar sur le plateau central et enfin direction plein Est, passage prés de Qazvran avant de rejoindre Téhéran.
1) Le contraste climatique entre la région de Téhéran semi désertique et le nord (ou sur de la mer Caspienne) au climat subtropical ou « méditerranéen humide »
L’Iran, pays où il fait toujours beau ou presque, chaque matin le soleil brille, ciel d’azur (un mot persan) au point que c’en est presque lassant et puis la chaleur, Téhéran est situé au pied d’immenses montagnes, celles-ci avec leurs cimes découpées et abruptes surplombent la ville comme un décor gigantesque, justement aujourd’hui nous devons les franchir et j’ai hâte de voir « l’envers du décor », aussi nous partons, direction Ouest d’abord jusqu’à Karaj où nous devons bifurquer plein Nord pour pénétrer la montagne, ce matin est sans doute comme tous les matins en Iran, une circulation d’enfer sur ces sortes de voies rapides qui quadrillent Téhéran, je commence à avoir l’habitude de cette conduite de « sauvage » qui caractérise tous les pays orientaux marquée par une indiscipline totale, chacun faisant n’importe quoi ou presque, bon on finit par sortir de Téhéran...
Une autoroute droite, qq kms rapides, très rapides longeant le magnifique décor de la chaine montagneuse qui se dresse sur notre droite, des pentes abruptes qui scintillent dans le soleil matinal, ce sont justement elles que nous abordons enfin quand nous prenons la route de Chalus au niveau de Karaj, c’est très impressionnant, un décor très rude et austère, violent en un sens, car nous montons, montons et pourtant rien ne change ou presque si ce n’est l’aridité du sol qui semble encore se renforcer, à part le fond de la vallée marquée par un peu de verdure grâce à un maigre cours d’eau les pentes sont absolument désertiques, à peine qq broussailles, un ensemble purement minéral, nous sommes environnés de cimes de plus de 4000 m d’altitude, c’est magnifique et nous montons encore, puis vient un tunnel puis un autre (les Iraniens n’hésitent pas à doubler dans les tunnels) enfin un plus conséquent où vers la fin une inflexion se produit et une descente s’amorce, enfin nous sortons et là c’est déjà un tout autre décor, nous venons de franchir la chaine montagneuse séparant la zone du golfe Persique du continent Eurasiatique !
D’abord le ciel n’est plus aussi clair, cristallin qu’il était côté golfe Persique, certes le soleil brille mais on distingue désormais des nuages au loin, en fait l’horizon est plutôt flou et embrumé, on ne voit pas la mer et on ne la verra pas avant d’en être tout prés car ce sont des montagnes et des montagnes encore devant nous mais d’une toute autre nature car moins escarpées et surtout entièrement couvertes de verdure, allant du vert cru au vert sombre, des reliefs boisés désormais, un autre décor, une autre nature, un autre monde en fait et cela va se démontrer de plus en plus, bon ce n’est pas d’emblée une végétation luxuriante, mais tout de même il y a de la vie car il y a de la pluie, on est encore très haut et au début la couverture végétale est chiche, on pourrait la qualifier de « méditerranéen sec » mais elle va aller en s’épaississant au fur et a mesure de la descente car celle-ci est impressionnante, nous devons descendre de plus de 2000 m pour atteindre le niveau de la mer Caspienne, la route fait de très longs lacets surplombant des gorges profondes et en même temps que nous descendons le ciel se fait plus couvert et la végétation plus dense, cette descente magnifique semble pourtant presqu’interminable, le dénivelé finit tout de même par s’atténuer, on s’arrête qq min. en bord de route et je fais qq pas dans le sous bois environnant, le sol glaiseux, argileux presque boueux par endroit semble plus humide qu’en Normandie, la couverture des arbres (des feuillus) est très dense, cela ne ressemble à rien de ce que j’ai pu observer en Europe, il y a opulence végétale mais en même temps une sorte de moiteur due à la chaleur, nous sommes dans ce que les géographes considèrent comme une zone subtropicale comparable au sud de la Chine, d’ailleurs cette bande côtière de la mer Caspienne est parsemée de rizières, étant donné la présence d’un néanmoins fort contraste été/hiver on peut rapprocher ce climat de celui de la Géorgie assez proche qualifié parfois de « méditerranéen humide » ce qui est une forme d’oxymore, enfin les faits sont là, plus nous nous approchons de Chalus situé au bord de la mer Caspienne plus la nature semble généreuse, cette région est un véritable pays de cocagne où poussent toutes sortes d’agrumes, nous sommes bien loin du plateau aride qui formait les environs de Téhéran...
2) Une Riviera (bord de la Caspienne) dans un état délabré, conséquence d’une acculturation ou de la rigidité du système ?
De la verdure et encore de la verdure, et le bleu de la mer ? Il nous faut encore serpenter qq kms entre des collines avant de l’apercevoir, la voici enfin, elle n’est pas d’un bleu éclatant car le ciel est couvert mais tout de même elle est bien là cette fameuse mer Caspienne, mer du milieu par excellence avec en face l’immense Russie « Это Россия » , mer fermée elle est comme un grand lac d’eau salée, située 28m en dessous du niveau des océans, voici donc l’endroit le plus bas où je n’ai jamais été .. nous sommes déjà dans Chalus et cherchons un accès quand un panneau « plage » indique une direction où nous nous engageons, nous avançons encore et là c’est le choc ou plutôt la consternation pour un occidental chez qui l’idée de plage est associée à celle d’un endroit idyllique, en fait je découvre ce qui ressemble plutôt à une poubelle ou un égout à ciel ouvert !
Pour m’être souvent promené en Russie et connaitre le peu de souci de certaines populations par rapport à leur environnement, je dois dire que là, question mauvais goût et inesthétisme, tous les records sont battus, les muzz vous êtes les champions du bousillage du littoral, les russkoffs peuvent aller se rhabiller, essayons d’expliciter cela un peu en détail, d’abord aucune « sanctuarisation » de la plage, les voitures roulent en Iran n’importe où et sur la plage elles avancent le plus possible, n’importe comment pour être clair, doit-on parler de plage quand le sable ou ce qui devrait en être ressemble à une masse noirâtre plus proche du matériau de chantier que d’un élément cristallin ?
Et l’ambiance dans tout cela ? Certes pas d’alcool mais du bruit à s’en péter les tympans, voiture aux 4 portières ouvertes avec l’autoradio à fond qui crache une espèce de rock disco mahométan, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on y a droit de toutes façons .. oui mais au bord de l’eau, les corps se dénudent ce qui ne doit pas manquer de charme ? Quels corps ? Il y a bien les zabrutis à la musique disco qui trainent à peu prés seuls en maillot une pièce, les autres ont gardé des pantalons ou des chemises quant aux femmes, là circulez y a rien à voir, certaines s’approchent de l’eau et sont nu-pied mais sinon tout le reste du corps est recouvert, poignet et cheville comprise, bon voilà ma découverte de la plage islamique, qq part c’est l’anti-érotisme par excellence, bref glissons ..
Dans cette mer huileuse et sale, je me serai tout de même baigné, à un autre endroit plus calme, afin de pouvoir dire, me dire, que je me suis baigné dans la mer Caspienne, voilà tout !
Ok : la plage c’est pas leur truc, après tout chez nous jusqu’à la fin du XIX siècle, le littoral était complètement délaissé et ignoré des riverains, mais qu’en est il du reste ? Euh, bonne question, en fait c’est pas vraiment évident de répondre sans risquer d’être taxé de parti pris pro-occidental, essayons néanmoins de décrire les choses telles qu’elles me sont apparues, donc après ce toucher au raz de l’eau, nous reprenons notre route vers l’Ouest en direction de Rasht, nous longeons la côte tout bonnement et qu’observons nous ?
C’est un cadre magnifique, partout sur notre gauche la chaine montagneuse, débordante de verdure offre un décor sublime, ces montagnes sont dominées par des bancs de brume, cette région est une splendeur mais si l’on regarde plus prés, juste devant nous la route et ses à côtés qu’observe t on ? En gros, n’importe quoi c’est vraiment n’importe quoi, même la banlieue de Varsovie (chef d’œuvre de laideur pour ceux qui connaissent) présente plus d’harmonie entre les différentes constructions et le bord des routes, les musulmans se distinguent par une indiscipline parfaite, impossible d’observer chez eux le moindre souci de respect d’une harmonie globale, les constructions sont complètement chaotiques, aucune ne ressemble à sa voisine, quant au trottoir ou ce qui devrait en être un, on ne sait pas trop où il commence et où il finit, des échoppes (car c’est un passage touristique) surgissent un peu partout, sorte de baraquement quelque fois en parpaings, souvent en bois aux murs qui tiennent à peu près, enfin ils tiennent et partout ou presque luisent (en plein jour) ces guirlandes formées d’une kyrielle d’ampoules à la lumière blanche caractéristique d’ampoules à basse consommation, indice d’activité pour le client sans doute ?
Autre touche de gaieté, l’abondance de mosquées pas vraiment antiques car avec leurs couleurs criardes et leurs formes tarabiscotées il est trop facile de les qualifier de kitch, en fait elles sont trop kitch, on se dit que qq part ils ont du en faire exprès ceux qui les ont construites, jugez un peu, les couleurs les plus fréquentes sont le violet vif et le jaune doré canari, il y a aussi du vert pistache, du mauve et du bleu turquoise, ces mosquées par leur aspect tapageur ressembleraient plutôt à des bars de nuit ou des discothèques mais ces propos risquent de paraitre sacrilège aux vrais croyants aussi je ne développerai pas plus...
Nous continuons notre route vers l’Ouest, partout le même aspect d’abandon, il y a bien qq villas fortunées et isolées, des propriétés privées qui doivent abriter des jardins superbes « le jardin persan », mais pour ce qui est de la voie publique c’est une impression d’ennui et de relative misère qui domine généralement, alors qu’en ville de nombreuses femmes sont très coquettes, ici les tchadors règnent en maitre, ces lugubres tchadors qui font plus penser à des corbeaux qu’à des femmes ! Tout de même, pourquoi ce délabrement généralisé dans un cadre naturel pourtant si prodigieux ? A l’époque du Shah se trouvait ici sa résidence d’été, est ce pour effacer jusqu’à son souvenir qu’on laisse pourrir cette côte qui devrait être un bijou ? Je ne saurais y répondre...
Nous arrivons enfin en cette bonne ville de Rasht bien qu’il faille de la bonne volonté pour croire que nous pénétrons une grande ville, Rasht aurait plus d’un demi million d’habitants, or on ne voit de chaque côté que ces maisons au toit plat, maximum un étage, le terme d’urbanisme est peu adapté en ces contrées, les musulmans semblent hermétiques aux questions d’aspect et d’apparence, impossible pour moi de croire que cette Ville aurait plus de 500 000 habitants, nous serions déjà dans le centre sans que j’ai pu encore distinguer ce qui ressemblerait à un vrai immeuble, partout les mêmes constructions sous forme de petits blocs miséreux, comment pourrons nous trouver un hôtel à peu près normal dans cette « métropole régionale » ?
Bon, on finit quand même par atterrir à Ordibehesht Hôtel, un aspect austère un peu suranné, des vieux lustres au plafond, une moquette brejnévienne mais l’ensemble parait bien tenu, le personnel aimable et il y a Internet, une salle où l’on peut fumer et commander du thé, bref tout baigne, les chambres ont un mobilier qui fait penser aux années soixante et la plomberie de la salle de bains aux années cinquante mais il y a de l’eau chaude, j’ai un peu l’impression d’être en URSS dans les années soixante dix dans ces hôtels réservés aux touristes étrangers. En fait, tout va bien !
3) Une présence arménienne et donc chrétienne forte et vivace dans la région de Rasht
Entretemps la nuit est tombée mais il n’est pas tard et dehors ce « centre ville » donne l’impression d’une ruche bourdonnante, vendeurs ambulants, magasins et échoppes, tout fonctionne avec en sus une circulation d’enfer, muni d’un petit plan très imprécis, j’entreprends un repérage nocturne à la recherche des minorités religieuses vivantes et en particulier chrétiennes, je ne parle pas perse mais prononcer le mot « kélissa » (église en farsi) me vaut tout de suite la sollicitude des habitants, je me retrouve devant une porte métallique avec une inscription en arménien, comme je dois comprendre l’église se trouve de l’autre côté, presqu’aussitôt un homme jeune qui tenait une échoppe en face saisit mon intérêt quand je lui explique que français catholique, je désirerais visiter leur église, il m’entraine qq m. plus loin vers un de ses acolytes, lequel m’entraine aussi vers un autre, en même temps je comprends qu’ils sont tous arméniens et que cette église est un élément essentiel de leur existence locale, il y a une sonnette sur la porte qu’ils actionnent, s’ensuit une conversation dans l’interphone à l’issue de laquelle ils m’expliquent dans un anglais rudimentaire que l’église sera ouverte demain à partir de 10h, à demain donc...
Le lendemain il fait déjà beau et chaud et je décide bien avant l’heure d’aller voir de plus prés cette église, cela ne faisait pas 30sec que j’étais devant cette porte métallique qu’un arménien puis un autre viennent me dire « bonjour Monsieur » et en français s’il vous plait, décidément en qq heures je suis devenu une vedette locale, ils sonnent derechef et là on vient ouvrir, une dame avec un foulard sur la tête apparait pour venir me guider à l’intérieur d’une vaste cour avec un grand bâtiment faisant penser à une école et juste derrière se dresse une véritable merveille, une église arménienne qui doit dater d’un siècle ou deux dans un parfait état de conservation !
La dame va m’ouvrir l’église à titre individuel, elle me permettra de prendre des photos de l’intérieur et de m’y recueillir, cette église est certes très belle mais elle n’est pas de dimension extraordinaire, de même son intérieur soigné et entretenu ne recèle pas de richesse particulière, c’est une simple église orientale, aux murs en crépi blanc avec des vitraux ordinaires, des rangées de bancs, un autel et les accessoires pour les sacrements, pourtant je tiens cette église et la plupart des églises en Iran et plus généralement toutes les églises en Orient pour des miracles en soi, cette simple église de la rue Saadi à Rasht revêt presque plus d’importance à mes yeux que Notre Dame de Paris, je sais que cela pourra paraitre étrange à beaucoup de gens mais de par la simplicité de son aménagement et en même temps l’extrême soin apporté à son entretien, il se dégage de ce lieu de culte une atmosphère de piété et de ferveur qui me trouble profondément et que je peine à exprimer autrement qu’en insistant sur la sensation d’ardeur et de dévotion qu’exprime ce bâtiment religieux, la présence d’un tel témoignage de foi en ces terres d’Orient est une des plus belles prières à Dieu que peut contempler un chrétien authentique...
Aussi l’existence et l’importance de cette forte communauté arménienne dans le nord de l’Iran (dont il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’une diaspora mais d’une population d’origine qui vit dans ces régions proches du Caucase depuis des siècles), qui peut pratiquer sa religion et vivre selon ses coutumes dans l’Iran d’aujourd’hui sans craindre de persécutions particulières, permet d’infirmer les procès régulièrement intentés à l’état théocratique d’Iran pour « fanatisme religieux » ou autres « crimes contre les minorités religieuses », paradoxalement la dureté de ce régime garantit un état de droit et une sécurité intérieure allant à l’encontre de toutes les tentatives de déstabilisation de la société traditionnelle qui pourraient être opérées par des fanatiques religieux, bref l’ordre règne !
Il faut hélas prendre congé de cette contrée merveilleuse même si l’architecture de nombreux bâtiments laisse souvent à désirer, le temps est beau, nous prenons en sortant de Rasht d’abord plein Sud la route la plus directe pour Téhéran, laquelle passe par la splendide vallée du Sefid Roud (le fleuve côtier) c’est une merveille au niveau agricole et qui s’étend sur une bonne cinquantaine de kms, puis la route remonte lentement sur le plateau iranien en bifurquant progressivement vers l’Est, on observe au loin la présence d’un parc éolien de dimension colossale, au moins sur ces crêtes il y a toujours du vent, enfin revenu sur le plateau central la végétation s’est de nouveau considérablement appauvrie, fin d’été, chaleur sèche, on observe néanmoins qq vergers à l’aspect squelettique avant le grand retour dans l’immense cité capitale de l’Iran, en vérité dans ma tête je suis toujours qq part à guetter au loin la mer Caspienne ou en contemplation dans une église arménienne, fin du récit.
Hiéronymus, Octobre 2012