Malgré cet anti-krach, au final, ce sera encore pire ! Ce n’est même plus un secret de polichinelle, c’est devenu quasiment officiel : il n’y a plus qu’un acheteur à Wall Street… et c’est la Fed.
Les indices américains avaient rouvert en baisse après l’accord de mercredi. Ce dernier ne fait que repousser l’impossibilité de résoudre les problèmes budgétaires à la mi-janvier tandis que la baisse du chiffre d’affaires d’IBM confirme le ralentissement global de l’activité dans les pays émergents.
Wall Street ouvrait assez logiquement en repli de -0,7 %… une consolidation intolérable !
Charles Evans – président de la Fed de Chicago, membre votant jusqu’en janvier 2014 et un des partisans les plus forcenés du recours à la planche à billets – ne pouvait pas laisser passer ça ! Il s’est donc empressé de réaffirmer, à l’occasion d’une conférence qui avait l’immobilier pour thématique, qu’il est trop tôt pour envisager toute réduction du QE3 [troisième « quantitative easing », ou injection massive de monnaie dans l’économie, plus connue sous le nom de « planche à billet », ndlr E&R].
Alors tout s’est déroulé comme si lui ou l’un de ses collègues avait transmis l’ordre aux « grands manipulateurs » de faire terminer le Dow Jones à l’équilibre, malgré le plongeon de 6,5 % d’IBM.
Arrachage à la hausse
Tous les autres titres du Dow ont été arrachés à la hausse, sans aucune relation avec une quelconque actualité justifiant un quelconque rally.
La Fed injecte quatre milliards de dollars chaque jour. Cet argent doit impérativement servir à faire grimper les indices puisqu’il est désormais admis par l’ensemble des économistes, même les optimistes les plus béats, que le quantitative easing ne parvient pas à générer la moindre croissance et encore moins à créer de l’emploi.
Wall Street, ce n’est plus qu’une bulle – mais avec un seul acheteur et non pas une infinité d’acheteurs ayant une opinion positive sur l’économie. Le seul mot d’ordre est de « suivre la tendance » même si la survalorisation des actifs n’a plus aucune corrélation avec le réel : ce n’est pas nous qui l’affirmons mais une poignée de traders interviewés quelques minutes avant la clôture.
Certain s’extasiaient : « C’est totalement fou. L’accord au Congrès US c’est du perdant/perdant, il n’y a que de mauvaises nouvelles macro-économiques depuis le début de la semaine (avec une chute de l’indice Philly-Fed ce jeudi), les crédits immobiliers sont en baisse, les défauts sur les prêts étudiants sont en hausse, les chiffres d’affaires sont décevants… et Wall Street n’en finit plus de monter. »
D’autres expliquaient que tant que Ben Bernanke et son grand orchestre jouaient à 85 décibels tout en noyant les fêtards sous 85 hectolitres de punch chaque mois, plus personne n’avait besoin de se préoccuper d’un futur shutdown — ni des chiffres du jour, ni des résultats trimestriels.
Le marché n’existe plus
Pour résumer, nous serions tentés de dire que nous voyons prospérer le marché le plus idiot jamais observé depuis 1929. Mais la réalité est pire : le marché n’est pas idiot… parce que le marché n’existe tout simplement plus.
Il se résume à un acheteur et 90 % de suiveurs quasiment décérébrés qui savent qu’il ne sert plus à rien de réfléchir – puisque la Fed a franchi le point de non-retour en ne réduisant pas le QE3 mi-septembre.
Des milliers de gérants, de traders, de stratèges expliquent qu’il n’y a plus qu’à continuer de danser sur le pont du Titanic. De toute façon, il n’y aura pas assez de canots de sauvetage et la ruée vers les issues de secours provoquera hystérie et piétinements, le moyen le plus sûr de mourir avant même que le navire ne soit englouti par les eaux glacées.
En ce qui concerne la Fed, censée agir comme simple arbitre soucieux de faire respecter les règles du jeu, elle a pris le parti de l’équipe de Wall Street au détriment de l’économie réelle, avec une partialité qui outrepasse les limites du grotesque.
Elle siffle des penalties imaginaires chaque fois que la conjoncture intercepte une avancée des indices boursiers. Elle distribue des cartons rouges à tour de bras : à l’inflation trop basse, au taux d’emploi insuffisant, aux émergents qui ralentissent, aux profits qui stagnent…
Elle a ainsi expulsé au fil des jours et des mois tout ce qui s’oppose à la hausse des marchés (et de façon générale à tout ce qui fait qu’un marché est un marché).
1929, la vengeance
Ben Bernanke a trop travaillé sur le krach de 1929, provoqué par le manque de discernement des opérateurs et surtout de la Fed de l’époque. Il s’est apparemment – et c’est de plus en plus lisible dans sa stratégie – juré de venger l’Amérique de cet accident de l’histoire (dont la Fed ne fit qu’aggraver les conséquences) en orchestrant une hausse encore plus artificielle, aveugle et imbécile qu’à l’époque.
Une sorte d’anti-krach qui ne peut même plus être justifié par des « lendemains qui chantent » ni par une potentielle envolée des bénéfices des entreprises. La hausse des actions n’est reliée à rien, elle ne reflète plus aucune prospérité économique existante ou à venir… mais c’est totalement assumé.
Il n’y a donc plus de limites. Les arbres peuvent désormais monter jusqu’au ciel – ce dont témoignent le Nasdaq, le S&P 500, le Russell 2000, le MidCap 400 qui ont tous pulvérisé leurs records absolus jeudi soir.
Ce marché haussier – où il n’y a plus de marché – ne reflète plus que la psychologie d’un Ben Bernanke enivré de sa toute-puissance qui s’est embarqué dans une fuite en avant démentielle.
Combien de temps perdurera ce système qui récompense l’avidité des faussaires, des simulateurs, des brasseurs d’argent sans scrupules ?
Combien de temps perdurera ce système binaire pour lequel le monde se partage entre gagnants et perdants… il suffit juste de choisir son camp. Et ne surtout ne pas se poser de questions sur la nature de la victoire.
Philippe Béchade
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