Pendant seize jours, des soignants qui se surnomment « les Perchés » ont élu domicile sur le toit des urgences de l’hôpital psychiatrique du Havre pour réclamer plus de moyens face à des conditions d’hospitalisation qu’ils jugent inhumaines. Ils viennent de signer un accord avec leur direction mais pour eux, le combat ne fait que commencer.
Poussettes et voitures défilent devant la façade de l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet du Havre (Seine-Maritime), mardi 10 juillet. Et personne ne semble vraiment prêter attention aux dizaines de banderoles colorées installées sur la façade, depuis le début du mouvement de grève du personnel soignant, il y a près d’un mois.
« Bienvenue dans l’hôpital de la honte », peut-on lire. Sur le toit de ce bâtiment sans étage, des tentes sont dressées et des personnes en blouses blanches vont et viennent. Patients et riverains de cet hôpital à taille humaine de centre-ville semblent s’être habitués au curieux campement installé sur le toit de « Janet », comme est surnommé l’établissement ici.
- L’entrée de l’hôpital Pierre-Janet du Havre (Seine-Maritime), situé en plein centre-ville, mardi 10 juillet 2018
Là-haut, « la tente des filles et les tentes des garçons » sont installées depuis le 26 juin, explique Frédéric Le Touze, délégué du syndicat Sud, membre des sept « perchés », comme se sont auto-surnommés ces soignants en colère. Voix fatiguée, les traits tirés, l’infirmier cache mal son anxiété :
« On a rendez-vous avec la direction ce [mardi] après-midi pour acter un accord de sortie du mouvement. On espère que ça va aboutir parce que là, physiquement et psychiquement, ça devient dur. »
« Le pire, c’est les urgences »
Voilà plus de deux semaines qu’une équipe de soignants occupe nuit et jour le toit des urgences, sous un soleil de plomb. Drapés dans leurs blouses, Ophélie, Sylvia, Johann et Frédéric sont devenus les porte-voix de leurs collègues en souffrance. Soutenus par l’ensemble du personnel soignant de l’hôpital, ils se battent contre les « conditions d’accueil et de soin, maltraitantes » qu’ils se disent forcés d’infliger à leurs patients.
« Le soin, c’est pas du gardiennage », est-il inscrit en lettres rouges sur un drap blanc. D’après eux, c’est pourtant ce à quoi est souvent réduite la mission des infirmiers et aide-soignants de l’établissement, qui doivent composer au quotidien avec 220 à 230 patients pour 192 lits. « Le pire, c’est les urgences », annonce d’emblée Frédéric Le Touze. « Le bâtiment des urgences est dimensionné pour recevoir cinq patients. Et quotidiennement, il en accueille entre 10 et 15 », explique-t-il, crispé. Contactée par franceinfo, la direction reconnaît elle-même une « sur-occupation chronique ».
« Les patients ont zéro intimité. Beaucoup dorment par terre, sur un matelas à même le sol. On est revenus au temps de l’asile. » (Ophélie, aide-soignante à l’hôpital Pierre-Janet du Havre)
« Imaginez : vous êtes hyper mal, vous arrivez aux urgences et on vous propose un matelas par terre, avec un patient à 10 centimètres de vous, lui aussi en crise. Est-ce que vous allez vous sentir mieux ? », poursuit Ophélie, entre deux bouffées de cigarette.
Dans l’unité Féroé, où l’on soigne les détenus, un petit parloir sans fenêtres et sans toilettes fait office de chambre. À l’intérieur, un matelas, posé au sol.
- Un placard transformé en chambre dans l’unité Féroé, réservée aux détenus internés
Pour les repas, les soignants composent, là encore, avec les moyens à leur disposition : les patients mangent souvent sur une chaise, leur plateau sur les genoux. « On n’a pas assez de tables », souffle Frédéric Le Touze.
Véronique Bellangé, psychologue au service Equinoxe, réservé à l’hospitalisation des adolescents, s’inquiète : « Aux urgences, il y a des personnes atteintes de graves troubles psychiques qu’on ne devrait pas laisser à côté d’adolescents. »
« Des jeunes de 14 ans peuvent se retrouver enfermés deux à quatre jours dans des conditions déplorables avant d’obtenir une place dans le service qui leur est dédié. » (Véronique Bellangé, psychologue)
Pour les protéger des adultes, les soignants se retrouvent souvent obligés d’enfermer ces patients à clé dans leur chambre. Une méthode « anxiogène et violente » dénonce Sylvia.
« On a besoin de votre lit »
Les problèmes de places ne concernent pas uniquement les urgences à l’hôpital Pierre-Janet. Les quatre pavillons d’hospitalisation de l’établissement, répartis par secteurs géographiques, sont souvent saturés. Pourtant, Martin Trelcat, directeur du groupe hospitalier, refuse toujours d’ouvrir le pavillon Délos, récemment rénové. Celui-ci permettrait la mise à disposition de 22 lits supplémentaires.
« C’est une consigne du ministère, manifestement. Il ne veulent pas l’ouvrir parce que ça enverrait le signal politique qu’on peut rouvrir des lits en psychiatrie, et ça donnerait peut-être envie à d’autres hôpitaux de demander davantage de lits. C’est aberrant », explique Johann, aide-soignant et « perché » lui aussi depuis le début du mouvement.
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Le député Ruffin (LFi) avait déjà visité l’hôpital :